mercredi 9 janvier 2019

Prose : Mémoires d'Atlas, chapitre 4



Chapitre IV – Les Bannis des Océans

Des corps en putréfaction jonchaient le sol, pour dissuader quiconque de venir s’en prendre à ceux qui avaient commis de telles atrocités. Le sang des malheureux gardes recouvrait aussi bien les murs que le plafond. Quelques gouttes s’étaient mélangées aux étendues d’eau, leur donnant une couleur rougeâtre. Le Palais de Saphir était devenu un Château de Rubis.

Les soldats de Mars, répartis en rangs de chaque côté de la pièce, m’avaient laissé entrer. Sans doute voulaient-ils que j’admire le spectacle morbide qui se déroulait dans la salle du trône. Que je voie mon père suspendu en hauteur, attaché et bâillonné. Que je contemple, impuissant, Arkantos vaincu, à genoux, aux pieds de celle qui siégeait désormais à la place de Poséidon : Deimos.

« Tu aimes la nouvelle déco, Prince Sans Héritage ?

Je ne fus pas déstabilisé par la provocation de Deimos. Mais le regard qu’Arkantos me lança, plein d’incompréhension et le coup de pied qu’il reçut, pour avoir tenté de me parler, manquèrent de me faire perdre mon sang-froid. La fille du Seigneur de la Guerre cherchait à régner en inspirant la Crainte. Je ne pouvais pas la laisser gagner. Je me devais de ne transparaître aucune émotion.

- Deimos, comme tu es venue négocier avec le Roi des Océans, je me présente à toi afin de discuter des termes de ta reddition.

Mon interlocutrice éclata de rire. Elle avait sûrement perçu que l’assurance dont je m’efforçais de faire preuve me mettait effroyablement mal à l’aise. Mais surtout, elle était persuadée d’avoir l’avantage. Les yeux écarquillés de mon père étaient rivés sur moi. J’ignorais s’il me prenait pour un fou ou s’il éprouvait une certaine fierté à mon égard. A dire vrai, je n’avais jamais su faire la différence.

- Pardon, mais j’ai cru mal entendre : tu veux que je me rende ? Espères-tu échanger ta vie contre celle de ton Royaume ? Tu crois vraiment avoir autant de valeur ?
- Ecoute-moi. Je vais tâcher d’être le plus clair possible : pars avec tes soldats, maintenant. Libère le Roi. Et nous nous contenterons de venir chercher les deux tiers du Domaine de ton père, comme convenu.
- Je comprends mieux pourquoi ton père a si peu de considération pour toi : tu n’es qu’un imbécile, Atlas ! Tu ne vois vraiment pas que tu as perdu ? Les accords ne tiennent plus ! J’ai annexé le Royaume des Océans ! 

Deimos ne riait plus. Elle était pleine de colère. Et, sans que je ne m’en rende compte, un sourire s’était dessiné sur mon visage. La glace qui décorait la salle du trône se brisa, pour laisser apparaître une armée ; la mienne. Des femmes et des hommes, venus des montagnes, tenaient désormais en joue, avec des armes rudimentaires, les soldats de Mars, attendant un ordre de leur chef, Clito.

- Le Royaume des Océans est bien plus vaste que tu ne l’imagines.

Moi-même je ne savais pas grand-chose du peuple des montagnes. Les récits du Royaume décrivaient une bande de sauvages, incapables de comprendre nos codes ou nos cultures. En réalité, ils n’avaient juste pas eu la chance de naître au bon endroit. Et Poséidon s’était épris de l’une de ces barbares. Toute sa vie, il avait expliqué avoir commis une erreur. Pourtant, elle se battait pour sauver sa vie.

- Si tu penses que de simples mortels vont m’effrayer, tu es plus stupide que je ne le pensais !

Des tremblements. Des gravats tombant du plafond. Un poing tourbillonnant vint s’écraser au centre de la salle du trône, faisant trembler les soldats de Mars. La créature difforme finit par pénétrer le Palais de Saphir. Elle était composée intégralement d’eau, de glace et de vapeur. Les corps prisonniers Par-Delà le Temps finissaient par se changer en êtres élémentaires ; tel était le sort des Titans.



Du sang qui gicle. Un crocodile venait de faire son entrée et de dévorer trois de nos ennemis. Ce n’était pas n’importe quel animal. C’était l’une des divinités pharaoniques venues du Soleil, avec qui le Souverain du Tonnerre avait longtemps été en guerre. Mon père en avait fait sa prisonnière. Et j’étais parvenu à la séduire en lui promettant qu’elle pourrait tuer quelques-uns de mes semblables.

Le crocodile et le Titan avaient balayé les rangs adverses. Le peuple des montagnes n’avait plus qu’à désarmer les soldats de Mars. Nous reprenions l’avantage. Et bientôt, à travers tout le cosmos, résonneraient les chansons dédiées au Prince Sans Héritage et à son armée de Bannis, qui avaient sauvé le Royaume des Océans. Mais je ne cherchais pas la gloire. Je me battais pour sauver mon père.

Victorieux, sans faire preuve d’excès de confiant, je m’avançais vers Deimos. Je savais qu’elle aurait pu me désintégrer d’un simple mouvement. Mais elle avait conscience que j’avais rassemblé autour de moi un véritable baroud d’honneur. Et que s’il m’arrivait quelque chose, chacun de ses membres se feraient un plaisir de l’attaquer. Je m’adressais donc à elle, après avoir aidé Arkantos à se relever.

- Tu refuses toujours de te rendre ? »

Deimos ne me lança pas de pic. Elle se contenta de sourire. Je ne compris pourquoi que lorsqu’un bruit sourd résonna dans toute la salle du trône. La bataille se stoppa. Les regards se tournèrent vers une épaisse fumée brune qui semblait s’être générée seule. Lentement, une silhouette s’en dégagea. Et elle n’incarnait rien d’autre que la Peur.



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