mercredi 26 décembre 2018

Prose : Mémoires d'Atlas, chapitre 2




Chapitre IIDeimos
« Tu penses que la ponctualité peut causer une guerre ?

- La sagesse de notre Roi nous en préservera, Arkantos.
- Ce n’est pas tant la sagesse de ton père que sa patience, qui m’inquiète. »

Arkantos me sourit, comme à son habitude. Plus qu’un véritable héros dont le nom résonnait au-delà même des frontières du Royaume, il était, pour moi, un véritable mentor. Alors, servir à ses côtés au sein du Palais de Saphir, était un honneur ; le plus grand auquel j’avais le droit d’aspirer. Même si notre travail consistait, la plupart du temps à attendre.

C’est d’ailleurs exactement ce qu’était en train de faire Poséidon : juché sur son trône, la mâchoire posée sur le poing, il désespérait de voir arriver son interlocuteur. Celui dont il comptait obtenir des explications, à propos du crime le plus barbare que l’on puisse commettre. Mais celui-ci était en retard de plus d’une heure et un tiers. Et mon père s’impatientait.

Alors, quand enfin une lumière pourpre vint faire rougir l’enceinte bleu-azur, les yeux de mon père s’illuminèrent, jusqu’à ce qu’une forme – un corps divin – ne s’en dégage. La Crainte m’envahit à la vue de l’armure flamboyante qui avançait désormais sur le pont de glace, en direction du trône. Arkantos, lui, tremblait de Terreur devant sa peau orangée.

« Salut, mon grand-oncle préféré. avait lâché sarcastiquement la nouvelle arrivante.

- Deimos, comment oses-tu… ?!? s’offusqua mon géniteur.
- Désolée. Mon père devait régler des affaires plus urgentes.
- La moindre des choses aurait été d’envoyer ton frère.
- Vos lois archaïques m’interdisent de négocier avec vous ?
- Les traditions empêchent le chaos de nous submerger.
- Elles n’ont pourtant pas protégé Halirrhotios. »

C’était la provocation de trop. Poséidon s’était levé. Des trombes d’eau avaient jailli et des stalactites encerclaient Deimos Moi, je n’attendais qu’un ordre de mon Roi.

Le ricanement de Deimos résonna dans tout le Palais. Elle saisit une des armes de glace pour l’approcher lentement de son cœur, en lançant à mon père un regard de défi.

« Qu’attends-tu, Roi des Océans ? Tue-moi et attire-toi les foudres de la Triade !
- La Triade a choisi de ne pas intervenir, jeune insolente.
- Elle reste neutre car elle sait que mon père n’a fait que me protéger des intentions répugnantes de ton héritier. Je suis ici pour maintenir la paix. »

Dans un long soupir, Poséidon relâcha la pression : ses armes s’étaient baissées et il tentait de se calmer. En une fraction de seconde, il avait alors retrouvé toute sa majesté.

- Deimos, tu parles ici au nom de ton père, le Seigneur de la Guerre. En échange de la vie d’Halirrothios, je réclame deux tiers de son domaine. 
- C’est une bien mince compensation, mais tu l’obtiendras. »

Le sourire de Deimos ne s’était pas effacé. Elle tourna les talons, sans attendre une réponse de Poséidon. Ce dernier me fit signe de la raccompagner jusqu’à la sortie du Palais. M’exécutant, je restais prêt à intervenir, mais rien ne pouvait empêcher mon corps de trembler. Sa conscience parfaite de la politique du cosmos, aussi bien que son sens de la stratégie, démontraient qu’elle était la fille de celui que les Hommes de Gaïa appelleraient tantôt Arès ou Mars.

« Voilà à quoi tu en es réduit, Prince Sans Héritage ? »

Elle avait posé sa question sans la moindre once de dédain. J’aurai même pu croire à un semblant d’affection. Cela n’aurait rien eu d’étonnant : après tout, elle était aussi l’enfant de la Maîtresse de l’Amour. Il n’empêche que je préférai me méfier, ayant bien remarqué qu’elle avait davantage hérité des caractéristiques de son père que de ceux de sa mère. Le silence me préserverait de ses manipulations.

« Ton père t’autorise-t-il au moins à parler ? insista-t-elle
- Je… Il n’y a aucune honte à…
- Au sein des Légions du Seigneur de la Guerre, tu serais un véritable héros. Réfléchis-y. 

Deimos me fixa pendant de longues secondes, avant de tendre sa main. Sa proposition était alléchante. Intégrer l’armée de Mars me permettrait de voyager à travers le cosmos. Mais surtout, je serais libre de quitter un Royaume qui n’avait jamais voulu de moi, où même mon plus proche parent me considérait comme un être inférieur. Aussi, je n’avais aucune raison d’hésiter avant de répondre :

- Je préfère vivre au service de mon père que mourir pour la gloire du tien
- Très bien. Tu pourras donc transmettre à ton précieux Roi des Océans…

La fille de Mars s’éloigna d’un bond, avant de claquer des doigts. Une lumière pourpre m’aveugla aussitôt. J’eus alors beaucoup de peine à distinguer les formes orangées qui s’en étaient extirpées. Mais leurs armures et leurs muscles n’auraient trompé personne : pas besoin d’être une Moire pour deviner qu’il s’agissait de soldats.

- …les deux tiers du Domaine du Seigneur de la Guerre ! »


Hinetertainment 2018 jeffrey@hinetertainment.com

mardi 25 décembre 2018

Cadeau de Noël atlante : Barry Kuda, épisode 1

Alors, le barbu ventripotent est-il bien passé dans toutes les chaumières ? Il a oublié un cadeau ! C'est de notre part à tous chez Arcadia Graphic Studio, c'est le premier épisode de Barry Kuda !

Faut-il faire une présentation ? Il s'agit d'une sorte de cousin d'Aquaman et de Flash Gordon, vivant des aventures sous les eaux et combattant des créatures cauchemardesques. Les auteurs sont restés anonymes, mais vous devez la version française à Florian R. Guillon, aidé dans la tâche de restauration par Antonio Pastucci.

Mais ce n'est pas tout. La bonne nouvelle, c'est que l'intégralité de cette série a été traduite pour une sortie en album dans la collection Arcadia Golden Age. Notez bien que cet album sera une vraie exclusivité 100% Arcadia, car nous travaillons dessus depuis des mois, en restaurant les pages, traduisant les textes, et proposant des illustrations exclusives afin de faire l'édition la plus complète possible. Nous vous montrerons d'ici quelques jours la couverture, qui vaut bien le coup d’œil, et l'album sera proposé à la vente peu après, très probablement dans les tous premiers jours de 2019, car la fin de 2018 est très mouvementée.

Joyeuses fêtes encore une fois !

dimanche 23 décembre 2018

Joyeuses fêtes de la part d'Arcadia Graphic Studio !

Toute l'équipe d'Arcadia Graphic Studio vous souhaite de joyeuses fêtes ! 

Mais comme on ne peut pas tous être là pour la photo, c'est Claire Djarvick de Dark Fates qui se charge de nous représenter, et elle a une surprise pour vous ! Rendez-vous le 25 décembre à 11h30 pour la découvrir !


Claire Djarvick par Florian R. Guillon

mercredi 19 décembre 2018

Prose : Mémoires d'Atlas, chapitre 1





Chapitre I Jour 562 1001
Les vagues venaient mordre les rochers avec une violence inouïe au fur et à mesure que les coups de Trident retentissaient. Les flots se déchaînaient, causant la perte de tout ce qui se trouvait sur leur passage. L’eau se transformait peu à peu en un monstre immonde ; un puissant raz-de-marée, capable d’engloutir une planète, cité après cité.

Jamais je n’avais vu la mer dans un tel état. Elle qui m’avait toujours semblé si paisible et majestueuse, se présentait aujourd’hui à moi sous une forme nouvelle. Plus agressive. Hystérique. Proche de la démence. Et, pour la première fois depuis ma naissance, un frisson me parcourait alors que je l’observais ; j’étais absolument terrifié.

La cause de cette folie n’était autre que la main bleuâtre, couverte d’écailles, qui tenait le Trident. Celle d’un homme – un être divin – dont les yeux, d’un vert profond, laissaient s’échapper quelques larmes. Lui qui parvenait d’habitude à cacher ses émotions derrière une longue barbe blanche, lui conférant cet air si sage, ne pouvait littéralement plus à se contenir.

En le regardant manipuler les océans, au gré de sa colère, je ne pouvais m’empêcher de penser à la chance qui était la mienne. Effectivement, il était connu sous différents noms à travers de multiples contrées. Même les habitants du domaine de Gaïa finiraient par le baptiser tantôt Poséidon, puis Neptune, sans jamais véritablement se décider. Mais moi, j’avais l’honneur de l’appeler :

« Père. »

Le calme était soudainement revenu. Alors que la marée s’affaissait, Poséidon – pour le nommer ainsi – se tourna vers moi, le regard vide. En l’interpellant, j’avais sans doute sauvé nos terres d’une inondation totale, mais j’avais aussi ramené mon géniteur à la réalité. Et, comme incapable de surmonter cette dernière, il s’avança lentement vers moi, sans un mot, avant de s’écrouler.

« Atlas. »

Entendre mon nom serait sans doute le seul remerciement que je recevrai pour avoir empêché mon père de toucher le sol. Je le maintenais désormais debout et l’aidais à marcher, tant bien que mal. J’ignorais si son corps meurtri était devenu un poids lourd ou s’il usait du peu d’énergie dont il disposait encore pour nous ralentir. Après tout, il n’avait aucune envie d’aller là où nous nous rendions.

« Lâche-moi.

- Père, vous n’atteindrez pas la salle du trône en rampant.

Un grommellement. Le Roi des Océans contemplait son domaine au fur et à mesure que notre route se poursuivait. Les étendues bleutées, les Chutes de Naïade et la Rivière de Despina m’avaient moi-même toujours fasciné. Régner sur un pareil endroit, au sein duquel la seule préoccupation des sujets était de savoir si l’eau allait se montrer clémente, serait un horrible privilège.

-Il aurait dû se rendre à ce maudit conseil à ma place…
-S’il avait pu être présent, nous n’aurions pas eu à… »

Une trombe d’eau jaillit du sol, comme pour m’intimer de me taire. J’appliquais donc la loi du silence pendant le reste de notre voyage. Ce n’était pourtant pas les mots qui me manquaient. J’aurais aimé dire à mon père que cela m’affectait également, que j’étais prêt à le soutenir corps et âme. Mais rien ne pourrait consoler le chagrin de Poséidon.

A notre arrivée devant le Palais de Saphir, mu d’une dignité toute nouvelle, mon père se décida à marcher seul. Il ne pouvait pas être vu affaibli ; et encore moins soutenu par un être qui n’avait en lui aucune once de noblesse, comme il avait tendance à me le rappeler. C’est donc loin derrière lui que j’entrais dans la salle d’un trône dont je ne pourrais jamais hériter.

1  : les données numériques correspondent à la datation neptunienne.


Hinetertainment 2018                                                                                 jeffrey@hinetertainment.com

lundi 17 décembre 2018

Les héros de l'Atlantide de l'univers Arcadia

Dans deux jours, c'est la sortie d'Aquaman au cinéma. Mais parce que les comics français aussi ont leurs héros aquatiques, nous avons décidé de mettre en avant les nôtres !

Judo Squale par Gaëtan Degasperi







Judo Squale par Yannick Potier et Bruce Cherin
Voici donc Judo Squale, alias le "Prince sans nom", souverain légitime de l'Atlantide mais atteint d'une malédiction. Découvrez son histoire, une collaboration Maxime Saint Michel/Bruce Cherin dans Forgotten Generation (v1) #3 !

Orst par Florian R. Guillon

Orst et Orcan sont respectivement garde rapproché et régent de l'Atlantide. Si le deuxième fait partie de l'équipe des Justice Allies, le premier mène une vie qu'on pourrait presque qualifier de plus ordinaire, sauf que ce n'est pas tellement le cas, puisqu'il affronte des monstres marins !
Découvrez leur histoire dans Forgotten Generation (volume 2) #2, sur un scénario de Florian R. Guillon et Maxime Saint Michel, et les crayons de Bruce Cherin !

Mais sachez que nous n'en avons pas fini avec les mondes sous-marins ce mois-ci, puisque l'Atlantide sera à l'honneur dans une nouvelle spéciale, et le royaume de Merma dans une nouvelle ancienne BD dont vous pourrez découvrir le premier épisode en ligne, avant d'avoir l'intégralité dans un nouvel album de la collection Arcadia Golden Age !
Orst et Orcan par Bruce Cherin.

vendredi 30 novembre 2018

News spéciale pour les contributeurs à la cagnotte

Ils sont arrivés ? "Ils" ? Mais qui ?
Pas "qui", mais "quoi" : ce sont les badges exclusifs pour les contributeurs à la cagnotte pour sauver Forgotten Generation 4 ! Ils rejoignent ainsi les prints exclusifs qui étaient déjà prêts, et c'est comme ça que nous allons pouvoir récompenser nos sauveurs, avec des colis contenant en plus le beau Forgotten Generation 4 !
Donc, si vous avez contribué à la cagnotte et que vous n'avez pas encore donné votre adresse, c'est le moment ! Et si vous n'avez pas encore dit si vous vouliez une dédicace, c'est le moment aussi !
Et oui, j'ai bien conscience que nous avons donné peu de nouvelles depuis le début du mois, mais nous annoncerons d'ici quelques jours notre nouvelle parution !

Ce visuel est le fruit d'un travail d'équipe de Yannick Potier et Gaëtan Degasperi. Avouez que ça en jette !

mardi 6 novembre 2018

Inktober avec Arcadia : bilan de la dernière semaine

Inktober s'est terminé avec le mois d'octobre. En raison de l'actualité, nous ne publions que maintenant les derniers dessins de la session de Florian R. Guillon.

Thorr © Florian R. Guillon
 Thorr est toujours le dieu du Tonnerre, et il vaut mieux ne pas lui chercher des noises !

Il est apparu pour la première fois dans le webcomic Esprit Vengeur, et dans l'épisode 0 de Justices Unbounded, aux côtés d'Osira, dans Forgotten Generation (v2) #1.















Die Letzte © Florian R. Guillon
Die Letzte est une héroïne de la jungle. Amnésique, on sait qu'elle a survécu au crash de son avion et qu'elle est retournée à l'état sauvage, on sait aussi qu'elle parle allemand, mais son identité n'a pas encore été confirmée.

Die Letzte n'a pas de bande dessinée à son actif, mais Florian R. Guillon y travaille et a déjà plusieurs planches de prêtes.













Ewen Merrick © Florian R. Guillon
Ewen Merrick est peut-être un puissant magicien, mais il ignore encore qu'il possède un double. Un Ewen cache donc un autre...

Ewen Merrick apparaît dans tous les épisodes de Dark Fates, dans chaque numéro de Forgotten Generation et dans les nouvelles en prose, sous la plume et les crayons de Florian R. Guillon















Et voilà, c'est fini ! Bien évidemment, ne sont montrés que les dessins en rapport avec Arcadia, on ne vous a pas montré Spawn, Sonic, Plymo, Coq-Man, Nightmare, Jolt et une baleine, car ils n'entrent pas dans cette thématique.

Nous espérons que vous avez apprécié de suivre cette petite série, et que vous en reprendrez encore l'an prochain !

dimanche 4 novembre 2018

[Concours] Forgotten Monsters, les résultats !

Avec un peu de retard (nous pensions, à l'origine, publier ceci dans la foulée de la nouvelle d'Halloween), nous vous dévoilons les participations à notre premier concours Forgotten Monsters !

Alors oui, premier concours, une échéance courte, ça n'a pas entraîné une participation massive, mais au vu de ce que nous avons reçu, c'est quand même encourageant !

Nous avons donc reçu quatre dessins et une colossale participation écrite sous forme de nouvelle. Quand je dis colossale, c'est que le fichier fait 11 pages ! Et comme les participations sont toutes de qualité et qu'il nous est difficile de choisir deux personnes à éliminer, nous avons décrété que chacun serait récompensé !

Nous publierons donc tout ça dans Forgotten Generation 5 que chacun recevra à sa sortie, et nous solliciterons tous les talents que vous voyez dans nos publications prochaines, soit sur des histoires de Forgotten Monsters, soit sur d'autres.

Félicitations et encore bravo à nos cinq valeureux candidats !

Die Letzte en démone par Andy Lu



Ewen Merrick Zombie, par Alexandre Lavaur



Black Terror en mort-vivant par Olivier Pranlong

Ewen Merrick en loup-garou par Yannick "Alcybiade" Biret

Petit avertissement concernant cette longue nouvelle basée sur les personnages de World Justice : il s'agit d'une interprétation basée sur les informations disponibles en ligne et dans l'épisode 0, qui ne représentent qu'une infime partie de la saga que prépare Sophie Rumo.


Le Lilamazone
par Malvina Cordonnier 

Elle était sur la route depuis des jours. Heureusement, elle se trouvait toujours sur ses terres, elle pouvait s'y aventurer les yeux fermés, elle s'y retrouverait.
Elle se sentait tellement libre dans son royaume, alors elle ne savait pas à quoi s'attendre dans le monde des Hommes, sur leurs terres qu'on disait étrangères, différentes de la sienne. Mais elle avait confiance en Abaris. C'était un homme de raison. Et bien plus expérimenté qu'elle. Il l'avait visité, le monde des Hommes, lui.
Il lui avait confié quelque temps auparavant qu'être la première amazone à mettre un pied en territoire civilisé ne ferait qu'ajouter de la crédibilité à son image de guerrière. Elle serait plus respectée que jamais elle ne l'aurait été en restant sur ses terres. Abaris lui avait prédit qu'elle serait amenée à faire de grandes choses, qu'elle devait voir plus loin que le bout de sa forêt.
Alors la voici, pratiquement à la frontière entre deux mondes. Il lui restait un cours d'eau à franchir pour atteindre son but. C'était un fleuve très fréquenté, il y flottait d'étranges habitations... Des gens semblaient vivre là-dedans, mais cela ne ressemblait pas à des maisons.
Des caisses s'empilaient et débordaient de poissons multicolores... Sophicia ressentit une peine immense pour ces créatures incapables de se défendre, condamnées à être les victimes de la cruauté humaine.
Elle se dit ensuite, que pour sa sécurité, il valait mieux qu'elle se cache dans les fourrés, à l'abri des regards. Ce serait sûrement dangereux pour elle et même pour ses sœurs de se montrer aux yeux du monde. Elles vivaient recluses, en plein cœur de la forêt, à l'écart de toutes civilisations, là où personne ne pourrait les mettre en danger. Elle s'accroupit donc dans un bosquet et attendit que ce soit plus calme, avant de traverser à la nage le fleuve. Elle observa silencieusement les pêcheurs. Ils parlaient fort et avaient des rires gras. Soudainement, sans que Sophicia ne comprenne pourquoi, deux pêcheurs se sautèrent dessus et s'assenèrent des coups de poings aussi violents les uns que les autres. Les autres pêcheurs ne bougeaient pas. Ils se contentaient de regarder la scène, une cigarette au coin des lèvres. Sophicia fut consternée par la situation, mais elle ne fut pas au bout de ses surprises quand, aussi brutalement que ce fut possible, l'un des protagonistes se saisit d'un couteau et le planta dans la carotide de l'autre. Les vêtements de la victime et le sol ont été instantanément recouverts d'une mare sanglante. Quant au pauvre pêcheur, il avait viré au rouge. Le coup avait été si puissant et si profond que la lame avait tranché les chairs qui pendaient, sanguinolentes. La carotide malmenée s'était transformée en geyser, un véritable volcan en éruption.

Sophicia ferma les yeux et essaya de chasser de son esprit ces images qui lui donnaient des haut-le-cœur.
En les ouvrant, ils avaient disparu. Personne. Pas un signe de vie, pas une preuve que ces hommes étaient là, devant elle, pas même des tâches de sang !
Sophicia se dit que c'était à cause du stress ou de la fatigue, elle se mettait à imaginer des choses ! Ce voyage en terre humaine l'affectait plus que ce qu'elle pensait. Elle se donna du courage et traversa enfin le fleuve. Il n'y avait pas de courant, elle se retrouva donc de l'autre côté en deux temps, trois mouvements.
Elle traversa un bois où elle découvrit des espèces végétales qu'elles ne connaissait pas. Des fleurs aux couleurs étonnantes, qui détonaient avec la verdure alentour. Une, en particulier, attira son attention. Sa tête était ronde, et ses pétales étaient un sublime mélange de lilas et de rose pâle. Cette fleur avait un côté inoffensif et innocent. Elle semblait appeler Sophicia, et celle-ci était subjuguée par la petite plante. Elle s'en approcha, et inspira profondément le délicieux parfum qui s'en dégageait.
À partir de ce moment-là, il fallait qu'elle la cueille et la goûte. Elle ne savait pas pourquoi, mais ça l'obsédait. Elle cueillit donc la fleur, la mit avec une grande précaution dans sa sacoche en peau d'animal, et se mit en quête d'un peu d'eau pour faire une tisane. Non loin, elle tomba miraculeusement sur un petit ruisseau, préleva un peu d'eau dans une coupelle qu'elle avait pris soin d'emporter avant son départ. Elle se dégota un petit coin tranquille à l'orée d'une clairière, pour faire un feu. L'eau devait être suffisamment chaude pour profiter du goût de la fleur et de ses propriétés. Évidemment, faire le feu ne lui prit que dix minutes, et encore. Elle mit seulement un peu de temps pour trouver les matériaux dont elle avait besoin. Quelques minutes passèrent, pendant lesquelles les pétales infusaient l'eau. Ils flottaient dans ce micro océan enfermé dans un récipient de bois, et semblaient danser sous les yeux de Sophicia. Comme une parade amoureuse, dans le but de la séduire. Ses iris noisettes se perdaient dans le lilas.

Au bout d'un temps qui parut infiniment long, elle souleva la coupelle et porta le liquide parfumé à ses lèvres. Une douce mais forte sensation lui parcourut l'échine comme une caresse, le goût de la fleur était indescriptible. À la fois doux et corsé, avec une touche d'amertume, elle se sentait légère, et capable de tout. Une impression naissait en elle : que son destin était de traverser ce bois, de trouver cette fleur, de la goûter.
Elle se sentait différente. Elle était différente. Se rappelant pour quelle raison elle était ici, elle poursuivit son chemin, finissant par arriver à l'entrée d'une jungle de béton, peuplée par des insectes faits de tôles et de plastiques. Elle eut, la seconde suivante, comme un flash. Elle se trouvait au même endroit, mais la situation était différente. Elle assistait au déclin de la civilisation. Elle voyait des gens qui hurlaient en passant devant elle, mais elle était comme invisible et indifférente à ce qui se passait. C'était comme si elle était dans l'action, tout en la regardant de loin. Les gens avaient peur; ils pleuraient, étaient blessés, ou choqués, les vêtements abîmés ou souillés par la poussière et la terre. Elle leva les yeux et vit des boules de feu tomber du ciel, et s'écraser sur les insectes géants, les embrasant, sur les habitations, les faisant exploser en milles morceaux qui volaient çà et là, déchiquetant au passage des membres, heurtant violemment des têtes, qui au final, ne ressemblaient plus à des têtes, mais à un tas d'os et de bouillie cérébrale, qui nourriraient la terre pour faire éclore une vie nouvelle. Des gens étaient prisonniers des flammes, ils brûlaient, leur peau fondait, leurs viscères s'étalaient sur le sol, mais ils parlaient toujours ! Sophicia entendait leurs voix qui appelaient à l'aide, qui suppliaient pour que ça s'arrête. Les voix étaient tellement nombreuses, et tellement bruyantes, qu'elle dut se couvrir les oreilles de ses mains pour ne plus les entendre. Brusquement, ça s'est stoppé. Et elle était revenue à la frontière, au bord de cette jungle urbaine encore debout sur ses fondations. Sophicia ne comprenait pas ce qui venait de se passer, elle n'en avait pas la moindre idée... Ça paraissait réel, elle avait ressenti la souffrance de tous ces inconnus, elle avait entendu leurs voix... Elle supposa que c'était depuis qu'elle avait goûté la fleur inconnue qu'elle pouvait les distinguer aussi nettement... Elle sentait que la fleur avait quelque chose de mystique, d'étrange, mais ça ne l'avait pas effrayée pourtant. Elle n'avait pas peur, pour elle c'était un don des dieux. Il l'avait choisie, elle, simple guerrière amazone qui quittait pour la première fois sa terre. Elle devait honorer ce don, et l'utiliser pour faire le bien. Venir en aide aux bonnes voix, et ignorer les mauvaises.

Elle s'avança dans ce dédale de blocs, regardant partout autour d'elle. Elle croisa des gens, des enfants, des adultes, habillés de façon très étrange. Ils portaient des déguisements plus effrayants les uns que les autres. Des sorcières, des fantômes, des monstres difformes, des créatures dont on ne savait pas à quoi elles ressemblent tellement elles sont hideuses, qui n'ont leur place que dans des contes destinés à faire peur aux enfants turbulents, aussi des choses similaires à des êtres humains mais en plus baveux, avec un air maladif permanent, agressifs, et ayant tendance à dévorer de la viande crue et très fraîche.
Certains avaient des déguisements colorés ou à l'effigie de bonnes entités, comme des princesses, avec de longues robes qui brillaient de mille feux, des petites fées, leur paire d'ailes et leur baguette, des nymphes, ces adorables créatures des forêts, et de tout petits hommes qui lui arrivaient à la taille.
Sophicia ne connaissait pas cette fête et ne savait pas non plus quelles divinités ils devaient célébrer, il y en avait tellement de représentées !
Elle n'était pas à son aise, ne savait pas où se mettre, même si ces adorateurs ne lui prêtaient guère attention. Elle était déguisée, parmi tant d'autres. Et les voix commençaient à revenir, mais différemment. Elle entendait les pensées des individus qu'elle croisait. Son don était plus étendu que ce qu'elle croyait. Mais ce qu'elle entendait lui faisait dresser les poils de la nuque. Elle entendait des choses blasphématoires, des formules comme « des offrandes ou un sort », des invocations d'esprits faites par des inconnus au visage masqué, se promenant avec des machettes, des couteaux, d'autres outils maculés de sang... Ils parlaient de morts, de sacrifices, de sang versé... Elle voulut s'éloigner de ces voix, mais elles la suivaient... À l'écart, se pensant à l'abri, elle vit plusieurs dévots former un cercle. Au milieu de ce cercle, un grand feu dansait la gigue. Tous portaient une longue robe noire qui leur tombait bas sur les chevilles. Ils étaient masqués, et Sophicia ne parvenait pas à distinguer leurs yeux. Ils entouraient le feu. À même le sol, à côté de ce dernier, se trouvait un être miniature fait de chiffons et de vêtements. Le petit être miniature était couvert de longues tiges fines et pointues sur les bouts. Du sang sortait de chaque orifice créé par ces tiges mortelles.

Des voix bien plus inquiétantes que les autres s'élevèrent de ce groupe, comme une litanie maléfique... Des mots, surtout, qui lui donnaient froid dans le dos.

    « Tuer... innocent... un coeur pur... brûlé par les flammes du Mal... »
Sophicia aurait voulu bouger pour s'enfuir, cependant elle était tétanisée, ses jambes refusaient de lui obéir. Elle n'aimait pas ce qu'elle voyait, elle n'aimait pas se trouver dans le monde des Hommes, elle était horrifiée par ce qu'elle découvrait. Elle n'était pas au bout de ses peines. Un personnage s'était avancé au centre du cercle, et s'était positionné à côté du feu. De sous sa robe, il sortit un linge et le montra à l'assemblée. Des bruits montèrent des gorges. Ils appréciaient ce qu'ils voyaient. Mais des plaintes bientôt vinrent du linge. Des bruits caractéristiques d'un bébé. Sophicia se liquéfia.

    « Ils ne vont tout de même pas.. ? » murmura-t-elle pour elle-même.
Elle ne voulait faire aucun bruit pour ne pas attirer leur attention. La dernière chose qu'elle souhaitait, c'était de finir dans les flammes de l'Enfer. Le personnage à côté du cercle leva très haut le linge pour que toute l'assemblée puisse bien voir, et d'une main, il ajusta le bout de tissu de façon à ce qu'on voie la tête du nourrisson apparaître. Il était en pleurs, se demandant où il était, qui ils étaient et où était passée sa maman…

C'en était trop pour Sophicia. Elle fit demi-tour et se mit à courir en direction de là où elle était arrivée. Malgré sa bonne volonté, elle ne put ignorer les hurlements de douleur de l'enfant. Ses beuglements cessèrent très vite, pour laisser place à un silence morbide. « Ils l'ont fait, pensa-t-elle, ils ont jeté ce pauvre bébé au feu ! ». Ces monstres étaient dépourvus d'âme... ils l'avaient vendue au Diable !
Elle en voulut à Abaris de lui avoir mis cette stupide idée en tête ! Pour rien au monde, pas même la puissance ni la réputation, elle ne perdrait son âme, ses valeurs et son bon cœur dans ce monde vil et infect.
En chemin, elle croisa bon nombre de fous qui hurlaient la résurrection de l'esprit du mal et qui lui souriaient bizarrement, un peu menaçants.

    « Mes sœurs, mais où suis-je tombée...? Ce monde est horrible, rongé par le mal. J'ai même vu sa fin... Je veux retourner sur mes terres et retrouver les miens... Je veux oublier ce que je vois ici, ce qu'ils font... »
Elles passaient leur vie à vouer un culte à de bonnes divinités, à ne pas vivre dans le péché, à œuvrer pour le bien. Elles respectaient la nature, et mangeaient juste ce qui leur permettaient de rester debout. Hors de question de tuer des animaux pour jouer ou gaspiller la nourriture. Leurs vêtements et accessoires faits de peaux animales étaient prélevés sur des animaux déjà morts.
Tandis qu'elle franchissait pour la deuxième fois la frontière, aussi discrètement que la première fois, pour s'enfoncer dans les bois, elle songea à la chance qu'elle avait de vivre dans un havre de paix, qui lui manquait terriblement.

La lumière du jour avait fortement baissé, nous étions au crépuscule. Déjà, les nuances orangées du ciel au coucher du soleil se faisaient dévorer par l'obscurité de la nuit. Le jour mourait, comme la vertu en ce bas-monde. Sophicia n'eut pourtant pas de mal à marcher dans une obscurité qui gagnait du terrain. Au fur et à mesure qu'elle progressait, les voix provenant du monde des Hommes s'atténuaient pour disparaître. Bientôt remplacées par d'autres. Des voix que Sophicia ne connaissait que trop bien…

«Sophicia, ma sœur, pardonne-nous de ne pas avoir pu nous défendre contre l'ennemi » ; « Ma sœur, je prie pour qu'il se passe un miracle, pour que tu viennes nous délivrer de ton bien-aimé » ; « Méfie-toi de lui, princesse, il n'est pas si bon, il est le mal en personne, il est mauvais »

Sophicia, qui sentit son cœur battre à tout rompre, avait peur de comprendre. Elle entendait les pensées de ses sœurs, mais certaines finissaient par s'éteindre, et elle ne les entendait plus... ses sœurs souffraient, elles avaient mal, physiquement, et son compagnon y était pour quelque chose. Si c'était bien ce qu'elle croyait, son bien-aimé avait profité de son absence pour attaquer les siens. Les amazones ne s'étaient pas méfiées, elles connaissaient Abaris, enfin pensaient le connaître.
Pourquoi aurait-il fait ça ? Cela n'avait pas de sens ! Lui qui s'était engagé à étendre le territoire des amazones, qui les avait aidées à protéger leurs terres, et à améliorer leur quotidien, et qui partageait la vie de Sophicia depuis tout ce temps... Était-ce un double jeu depuis le début ? Ne l'avait-il séduite que par intérêt ? Qu'attendait-il d'elle ? Quelles étaient ses intentions ? Travaillait-il pour quelqu'un ?

Toutes ces questions trottaient dans la tête de Sophicia pendant qu'elle courait le plus vite que pouvait le lui permettre ses jambes. Il lui semblait qu'elle courait beaucoup plus vite qu'avant, et que son endurance s'était considérablement améliorée. Elle voyait du coin de l’œil les arbres défiler en une ligne sombre ininterrompue. Elle survolait presque le sol, tant sa vitesse était surnaturelle.
Elle avait mis cinq jours à l'aller, et devait se surpasser pour ne mettre qu'une journée au retour. Elle avait pensé faire un détour pour demander de l'aide à une tribu qui vivait non loin d'elle, mais la réputation d'Abaris avait traversé les forêts, les plaines et les montagnes avant lui. Il était réputé l'un des guerriers les plus fort et les plus impitoyables qui soit. Et ses hommes étaient entraînés à faire la guerre. Personne n'aimerait l'avoir comme ennemi. Elle devait donc s'attendre à combattre seule, et c'est ce qu'elle ferait. C'était à elle de mener ce combat.

Plus elle approchait, plus elle sentait l'adrénaline monter en elle. Abaris ne s'attendrait pas à la voir revenir si tôt, elle aurait donc l'effet de surprise.

Elle finit enfin par arriver à proximité de son camp. Elle se cacha pour observer ce qui se passait. Elle entendait toujours les voix, des voix qui suppliaient l'ennemi de mettre un terme à leur douleur, de les laisser partir. Elle imaginait Abaris refuser d'abréger leur souffrance, il chercherait à continuer à faire mal, à lire l'agonie sur le visage de ses prisonnières. Ça le conforterait dans son ego de mâle... Il était bien connu pour faire durer le supplice jusqu'à ce que ses victimes le supplient de les achever pour être enfin en paix. C'était un monstre, comme ceux qu'elle avait vus dans le monde des Hommes. Et les monstres n'avaient pas leur place ici dans cette forêt.
Abaris avait fait appel à ses troupes. Ils étaient là, en train de démolir ce que Sophicia et les amazones avaient mis tant de temps à construire. Ils saccageaient les huttes, y mettaient le feu une fois dérobé ce qui avait de la valeur et attachaient les guerrières encore en vie à un tronc d'arbre. Les malheureuses étaient fouettées à sang, frappées à coups de bâton, brûlées par des barres métalliques qui dormaient dans un feu.
Une bouffée de haine monta en Sophicia. Elle allait les venger. Elle ressentit soudain une gêne, et baissa les yeux sur ses mains qui lui démangeaient. Elle s'aperçut que des aiguillons, des dards venimeux, lui étaient poussé sur le dos des mains. Elle ne se demanda pas comment c'était arrivé là, elle n'avait pas le temps. Elle y réfléchirait plus tard. Bien qu'elle pensât à la plante. Mais sur le moment, elle était juste ravie d'avoir une arme qui ferait la différence. En observant l'arsenal de son ennemi, elle vit qu'ils possédaient ces espèces d'armes à feu dont elle avait tant entendu parler. Seulement, elles étaient longues à recharger. Ils devaient mettre de la poudre dans la gueule, enfoncer une tige dedans pour tasser, et ensuite y mettre la balle. Le temps qu'ils rechargent, elle pouvait les attaquer, c'était ça son ouverture.
Il y avait des soldats en retrait du camp, postés là pour surveiller les alentours, et l'arrivée éventuelle de Sophicia. Elle devait se concentrer malgré les plaintes de ses sœurs, qu'elle n'entendait plus dans sa tête, puisqu'elle les voyait de ses propres yeux. Visuellement, c'était compliqué à gérer de voir les tortures, c'était la première fois qu'elle voyait les amazones en difficulté, elles qui habituellement menaient sur tous les fronts quand elles devaient se défendre.
Sophicia se demandait par quel guerrier commencer. Le plus proche d'elle était trop près du camp, donc mauvaise idée de l'attaquer, il ameuterait les autres. Elle changea de cap et se déplaçait en s'accroupissant dans les hautes herbes. Elle était juste derrière un guerrier en retrait par rapport aux autres. Il était un peu éloigné du camp, elle pouvait toujours tenter sa chance. Se servir de ses dards auraient été envisageables si elle avait été face à lui, pour mieux viser le cœur. Mais là, voler l'arme de poing de son adversaire, c'était jouable. Le guerrier tenait son fusil dans les mains, mais il avait un couteau bien affûté accroché à l'arrière de sa ceinture. Sophicia resta calme, respira lentement et approcha doucement la main. Elle regardait régulièrement si quelqu'un rappliquait ou l'avait repérée, sauf que pour le moment, elle était passée incognito. Parfait, pour l'instant, ça se passait comme sur des roulettes.

Elle réussit à se saisir du couteau sans que son propriétaire s'en rende compte, l'empoigna bien, se releva. La lame du couteau luit dans la pénombre et le soldat n'eut pas le temps de se retourner qu'il se retrouva la gorge tranchée. Sophicia l'ouvrit d'une oreille à l'autre. Le sang gicla, se projeta sur les troncs d'arbres pour les recouvrir, telle une toile. Elle couvrit la bouche du mourant, appuya fortement et l'accompagna lorsqu'il s'écroula au sol. Elle prit soin de le cacher dans de grandes fougères, sachant que c'était provisoire, que tôt ou tard, ses compagnons finiraient par tomber dessus. Elle prit également le fusil, chargé, et emporta quelques minutions. Ça pourrait servir, sait-on jamais.
Elle se faufila jusqu'au prochain garde. Il était assis sur un gros rondin de bois et somnolait. « Malheureux, tu vas regretter de t'être endormi quand je t'expédierai faire une sieste éternelle ». Sophicia s'avança jusqu'à lui, pour lui faire subir le même sort que son comparse. Au moment où elle passait juste à côté de lui, il émit un grognement sourd et eut un sursaut. Elle s'immobilisa et retint sa respiration. Ouf, fausse alerte. Il s'était bel et bien endormi. Sophicia le regarda quelques secondes avant de lever le bras, et de presque littéralement le décapiter. Elle lui sectionna les cordes vocales. Sentir la lame le transpercer l'avait réveillé en sursaut, mais il n'eut pas le temps de voir qui l'avait agressé, déjà sa vue se brouillait, et il suffoquait. Il ne pouvait prononcer aucun mot, il était coincé dans un mutisme qui mourait avec lui. Il tenta vainement de tendre le bras pour attraper Sophicia, mais il retomba mollement sur son flanc, et ce fut le deuxième à rendre son dernier soupir.

Tout comme le premier, elle cacha le corps et les armes pour ne laisser aucune trace. Elle se camoufla derrière un rocher pour observer ses ennemis. Il restait trois hommes de main, et Abaris lui-même, toujours occupé à violenter les amazones. Et là, ça commençait à être plus compliqué. Deux des hommes étaient l'un à côté de l'autre à l'entrée du camp, et se délectaient du spectacle que leur offrait leur chef. Le troisième était en train de fouiller une hutte et sortait quand il trouvait quelque chose d'intéressant. Abaris malmenait les guerrières ligotées devant la hutte de Sophicia. C'était tellement symbolique vu sous cet angle... Elle tendit l'oreille pour essayer de percevoir des bribes de conversation.
    « Où il est ? » demanda lentement Abaris à la plus jeune des amazones. Il l'avait saisie par les cheveux et les empoignait fermement, clairement décidé à les arracher un par un pour obtenir une réponse.
La pauvre amazone, Cléridis, pleurait à chaudes larmes et ne semblait pas comprendre de quoi il parlait.
« Je.. je ne sais pas... », hoquetait-elle de terreur, la voix à moitié étouffée par des sanglots. « Je ne vois pas... ce que... ce que vous cherchez... pitié, relâchez-nous... »

Abaris la fixa avec mépris. Il la lâcha, elle tomba par terre. Sophicia crut déceler un infime soulagement sur son visage. Soulagement qui fut de courte durée. Abaris vint se placer derrière elle, positionna ses mains de chaque côté de sa tête, et lui tordit le cou. Un coup sec et bref, retentissant dans cette forêt silencieuse. Sophicia ferma encore les yeux, secoua tristement la tête. En les rouvrant, une larme s'échappa de son œil droit et glissa sur sa joue. C'était toujours douloureux de voir mourir ceux à qui on tenait. Elle ne méritait pas de mourir, pas maintenant, pas de la sorte. Abaris serait sa dernière cible. Sophicia l'avait décidé ainsi.

Elle allait d'abord s'attaquer aux deux qui se postaient à l'entrée. Mais elle allait devoir se mettre en hauteur pour ça. Dans le cas où elle parvenait à toucher une cible, même les deux, Abaris et le troisième homme seraient aussitôt informés qu'il y avait un intrus. À terre, ses chances de survie n'était pas nulles, mais avec un individu de la trempe de Abaris, mieux valait jouer la prudence. Si le coup venait d'en haut, ils ne s'en apercevraient pas tout de suite et chercheraient dans les bosquets qui était l'auteur de la tentative de meurtre.
Sophicia choisit donc un arbre à mi-chemin des hommes, dans l'ombre pour lui conférer une plus grande liberté de mouvements. Elle alla ramper jusqu'à lui, et grimpa le tronc. Elle avait toujours été douée pour l'escalade, savait comment se placer et où mettre ses pieds. Seulement quand elle s'entraînait, c'était pour le plaisir, ce n'était pas une question de vie ou de mort. De ce fait, ça avait un impact direct sur sa montée, qui se faisait plus nerveuse, plus crispée. Ils ne faisaient pas attention à ce qui se passait alentour de toute manière, ils avaient baissé leurs gardes, distraits par la violence et la monstruosité en personne.
Sophicia continua de grimper jusqu'à arriver à la cime de l'arbre. Les branches étaient très épaisses et solides, elles pouvaient se mouvoir dessus sans crainte.
Elle s'installa, mais dans sa précipitation, secoua une branche qui fit tomber quelques feuilles. L'une des guerrières amazones s'en rendit compte, leva discrètement les yeux, les plissa légèrement et aperçut Sophicia qui lui faisait un signe de la main, puis mit son index devant sa bouche fermée, indiquant qu'elle devait rester tranquille et faire comme si elle n'avait rien vu.
Elle vérifia que le fusil était bien chargé, puis le mit en joue, visant l'un des deux hommes à la tête. Elle souhaiterait que le coup les atteigne tous les deux, mais il ne fallait pas trop en demander non plus. Elle colla son œil droit au viseur, braqué sur l'un des sbires qui éclata de rire suite à l'humiliation subie par une vieille guerrière. Celle-ci venait de se faire raser la tête. Elle encaissait courageusement les mutilations que lui faisait subir Abaris.

« Je te hais, Abaris. Ta fin est proche ».

Elle approcha son doigt de la gachette, et c'est ce moment que sa cible choisit pour bouger et aller rejoindre celui qui fouillait les huttes. Sophicia voulut hurler sa frustration, mais c'était impossible évidemment. Il restait l'autre à éradiquer. Alors elle le visa. Et appuya. La détonation craqua dans la forêt et se répercuta dans le ciel nocturne. C'était assourdissant. Sophicia avait un peu mal aux oreilles avec le vacarme que le fusil avait produit. Elle le savait puissant et destructeur, mais elle n'imaginait pas à quel point. La tête de l'homme avait littéralement explosé, comme une pastèque. Le bruit de chairs, de tissus, de masse cérébrale heurtées par la balle était insoutenable. Mais le pire était la tête après l'impact de la balle. L'homme avait un trou qui lui avait bouffé la moitié du visage ; la boîte crânienne gisait, vide, une entaille béante en son cœur, la cervelle fumait et était disloquée, rouge sang, secouée de temps à autres par des petits soubresauts.
Sophicia se forca à regarder ailleurs pour ne pas vomir. L'attaque avait réveillé les autres qui regardaient partout autour d'eux, cherchant d'où ça venait. Abaris avait interrompu sa séance de torture pour prendre son fusil, vérifier ses recharges, et avancer prudemment jusqu'au bord du camp, braquant l'arme sur chaque tas de feuilles qu'il croisait. Les deux autres s'étaient rapprochés l'un de l'autre. Ils se parlaient tous les trois, mais Sophicia ne comprenait pas ce qu'ils disaient. Ils criaient presque, et avaient l'air paniqués. Effet de surprise.

Comme elle l'avait pensé, ils cherchaient d'abord dans les fourrés et bosquets et tiraient à vue de tout ce qui aurait pu ressembler de près ou de loin à un homme. Ou une femme, mais visiblement, ils n'avaient pas encore compris qui était leur ennemi. Ils ne tardèrent pas à trouver les dépouilles qu'elle avait cachées plus tôt. Ils regardèrent partout autour d'eux, se sentant épiés, observés, traqués. Ne sachant que faire contre un adversaire invisible, qui maîtrise son environnement.
Sophicia sortit de sa sacoche de la poudre noire à mettre dans la gueule du canon, tassa un peu la poudre avec une petite branche qu'elle trouva, puis inséra une balle. Abaris criait des recommandations à ses deux sbires, et bientôt, il n'en resta qu'un. Sophicia lui défonça le crâne de la même manière que le précédent. L'homme s'effondra sur le sol dans un bruit sourd, nageant dans une mare de sang où flottait des bouts de peau, des cheveux entremêlés, un œil sorti de son orbite. Plus que deux.
L'amazone qui avait repéré tout à l'heure la princesse, regarda de nouveau en l'air pour repérer sa sœur. Abaris, qui s'était tourné vers elle au même moment, capta son regard... Il leva lui aussi les yeux vers la cime des arbres.
Au même moment, Sophicia, qui ne s'était pas rendu compte que l'une des siennes venait de trahir involontairement sa position, s'était débarassé du fusil en le posant un peu plus loin sur la branche où elle se trouvait. Elle voulait essayer ses aiguillons sur sa prochaine cible. Le dernier homme de main qui se liquéfiait sur place, à deux doigts de s'enfuir en courant.
Sophicia leva le bras et ferma le poing de manière à bien viser. D'un seul mouvement de la main, un aiguillon fut projeté à une vitesse affolante, et atterrit pile dans le cœur de l'homme, qui se contracta de douleur. Son visage affichait une horrible grimace, et il se mit à gonfler, enfler pour finir boursouflé. L'homme porta la main à son cœur, tomba à genoux, et commença à avoir du mal à respirer. Son visage devint rose, puis rouge, vira au bleu, et au violet quand il se raidit pour de bon.
Abaris le regarda, puis leva de nouveau les yeux vers l'arbre où se trouvait sa compagne. Celle-ci comprit qu'elle avait été repérée. Elle se figea pourtant, pensant que son cher et tendre ne pourrait pas la voir au travers du feuillage.

    « Tu peux descendre, chérie », l'appela-t-il, « il n'est plus l'heure de jouer à cache-cache. »
Et mince. Elle sauta de l'arbre, et atterrit sur ses pieds, à quelques mètres d'Abaris. Il la fixa de la tête aux pieds, moitié fier d'elle, moitié furieux qu'elle soit revenue et qu'elle ait décimé une partie de ses hommes. Sophicia savait ce qu'il pensait, et elle espérait se servir de son don pour déjouer ses manœuvres.

    « Il était comment, ce voyage ? fit mine de s'intéresser Abaris.
  • Horrible. Mais merci de t'en inquiéter. C'est un monde affreux, peuplé de gens égoïstes qui ne voient pas que leur fin est proche. Des dévots du Malin qui invoquent les mauvais esprits sans connaître les conséquences de leurs actes. Ils étaient monstrueux, vénéraient des divinités qu'on ne devrait même pas évoquer... et je retrouve la même chose ici, chez moi.
  • Allons donc, je suis surpris de te voir ici, je ne m'attendais pas à ce que tu rentres si tôt. D'ailleurs, j'espérais tout simplement que tu ne reviennes pas. J'aurais pu avoir la mainmise sur tes territoires qui me reviennent de droit. Après tout les sacrifices que j'ai faits, je méritais au moins ça, et tous les bijoux qui traînent dans vos huttes de sauvages.
  • Pourquoi ? fut tout ce qu'elle trouva à répondre, encore sous le choc de la véritable nature de Abaris.
  • Je te l'ai dit. Je veux régner sur ces territoires, je les étendrai jusqu'au monde des hommes, que je contrôlerai aussi, et je deviendrai le maître du monde. Je suis le nouvel empereur, je le sais, je le sens. Ces terres regorgent de richesses, et je pense sincèrement que c'est un terrible gâchis que ce soit des femmes, qui plus est des sauvages, même pas de vraies femmes qui soient à la tête de ces merveilles.
Sophicia se retint de pleurer. Comment pouvait-il dire des choses pareilles... après tout ce qu'ils avaient fait ensemble...

  • Il fallait aussi que tu saches que... je ne t'aime pas, je ne t'ai jamais aimé et ne t'aimerai jamais. Tu étais juste un outil, un pion, pour me rapprocher de tes sœurs et mieux vous approcher. J'ai déjà une promise en mon royaume, bien protégée par d'autres de mes soldats, comme ceux que tu as assassinés. Des tas d'autres soldats. S'il m'arrivait quelque chose, ils en seraient tout de suite informés, et viendraient faire de ta vie de recluse un cauchemar. »
Sophicia ne dit rien, elle se contentait d'écouter. Elle ne pensait plus. Son esprit était bloqué, ce qu'il disait entrait et sortait. Il y avait comme un mur qui rejetait toutes les méchancetés qui sortaient de sa bouche. Mais malgré cela, ça énervait considérablement Sophicia, qui avait une très grosse envie de lui enfoncer en plein cœur un de ses aiguillons et de le voir s'étouffer avec ! Elle entendit soudain une pensée de Abaris. Il lui racontait tout ça pour la distraire, parce qu'il avait l'intention de prendre en otage une des amazones, et de la monnayer contre Sophicia elle-même. Il recula légèrement, tout en continuant de débiter son baratin. Au moment où il avançait sa main pour attraper une des guerrières par la gorge, elle tendit le bras, ferma le poing et projeta un de ses dards dans la gorge d'Abaris. Il se raidit, stupéfait, les yeux ronds, perdant le fil de ce qui se déroulait sous ses yeux. L'amazone, profitant de cet instant d'égarement, se dégagea de son étreinte.
Sophicia tendit une fois de plus le bras, et envoya un dard en pleine tête, sur le front pour être plus précise. Elle laissa s'exprimer sa rage et le bombarda d'aiguillons. Il s'en prit dans le bras, dans les jambes, le ventre. Il était enflé de partout. Lui qui était si beau, était maintenant devenu difforme, à l'image des hommes qu'elle avait rencontré plus tôt.
À genoux par terre, prostré, il avait perdu de sa superbe. Il était misérable, pathétique. Dans les derniers instants de sa vie, il essaya de prononcer quelques mots, mais suffoquant, il toussait et crachait ses poumons. Elle eut plus de cœur que lui, et décida d'abréger ses souffrances, pour libérer le monde d'un tel fardeau. La dernière image qu'il eut d'elle, ce fut son visage déterminé quand elle lui envoya deux pics simultanément en plein cœur.
La terre était débarrassée d'un monstre, mais il en restait beaucoup encore à décimer. Ses sœurs lui demandant quel était cet arsenal qu'elles n'avaient jamais vu, elle leur promit de leur raconter plus tard. Pour le moment, elles devaient se préparer à affronter le mal.
Elles allaient partir à la recherche du royaume d’Abaris, pour nettoyer la saleté qui polluait leur si beau monde.
Elles marchèrent donc, toutes ensemble, vers leur destin.

mercredi 31 octobre 2018

Forgotten Monsters, c'est fini !

Bonjour à toutes et à tous, 

En ce 31 octobre 2018, le concours Forgotten Monsters organisé par notre équipe en parallèle de la sortie de Forgotten Generation 4 touche à sa fin. Tandis que les résultats seront communiqués sous peu, on rassemble les œuvres en plein dans le thème, réalisées par des membres d'Arcadia Graphic Studio

La première est une illustration d'un Phalène zombie, dessiné par Yannick Potier !


Suivi de Zira dessinée par Florian R. Guillon :


Puis un Bogy cyborg, toujours de Florian :


Rappelons aussi que tout avait commencé avec un Drak Béryl signé par Mahmad :


Et pour conclure, on vous propose également une nouvelle écrite par Florian R. Guillon :)

Avant-propos : cette nouvelle est un récit alternatif de Dark Fates à l'occasion d'Halloween. Il n'entre pas dans la continuité des épisodes déjà parus. Les illustrations sont issues des sessions d'Inktober pour la plupart, seule la dernière a été réalisée spécialement pour cette histoire.


31 octobre





31 octobre. Les citrouilles, fantômes et sorcières avaient commencé à envahir timidement les rues de Kaltsee, principalement à l’initiative des commerçants qui avaient vu en cette fête étrangère un moyen de s’assurer une petite manne financière, entre la rentrée des classes et avant la fête de Noël. Mais cette tradition commerciale était marquée, cette année, par l’irruption de véritables visions de cauchemar, quelques mois plus tôt. Pendant la nuit de Walpurgis, les morts s’étaient en effet relevés de leurs tombes, laissant dans leur sillage plusieurs victimes avant de disparaître d’un coup. Les cœurs étaient donc moins à la fête pour se costumer en revenants. Seuls, les plus téméraires auront choisi de vaincre leurs peurs pour s’amuser en incarnant des créatures rejetées par l’enfer, mais la plupart auront préféré opter pour des déguisements plus neutres ou plus drôles.

Cependant, Claire Djarvick goûtait peu cette tradition nouvelle. À vrai dire, elle se tenait à l’écart des rassemblements depuis plusieurs mois, depuis la mort de Xavier Enrikchen, son petit ami, et tout ce que Halloween lui rappelait, c’était le dernier jour d’octobre, la veille de la Toussaint, le jour où l’on fleurit les tombes des êtres chers. Elle se préparait psychologiquement à aller au cimetière, pour se recueillir pour la première fois face à la stèle de son amour disparu, accepter l’inacceptable. En cette fin de journée, elle n’était donc pas d’humeur à aller faire la fête, alors elle avait décidé d’évacuer ses noires pensées à la salle de sport.

Dans le vestiaire bien moins peuplé qu’à l’accoutumée, Claire se rappela les événements des mois passés : comment Joe Gillian était venu chez elle annoncer la nouvelle funeste, comment elle l’avait accueillie, et comment sa vie aurait pu devenir un enfer. Fort heureusement, ses parents l’avaient soutenue du mieux qu’ils le pouvaient, l’aidant à se débarrasser de sa mauvaise hygiène de vie et à pratiquer une activité qui lui faisait du bien. Claire avait donc choisi de s’inscrire à la salle de sport, remplaçant les cigarettes et l’alcool par l’effort soutenu d’une activité sportive. En enfilant sa brassière et son short, elle se disait qu’elle était une toute autre personne, du moins tant que l’effort physique continuait ; c’est pourquoi elle tenait à rester le plus longtemps possible à profiter des installations à sa disposition, afin d’éloigner le moment où elle devrait ressortir et affronter son mal-être.



En sortant du vestiaire, Claire se remémora le chemin qu’elle avait parcouru jusqu’à la salle, et son intrigante rencontre avec Ewen Merrick quelques minutes plus tôt. Elle n’avait pas vu le jeune sorcier depuis des mois, et leur dernière rencontre avait été mouvementée. Claire l’observa de loin : il paraissait confus et désespéré. Quand il fut enfin à sa hauteur, il l’interpella maladroitement. « Zira n’est pas rentrée depuis deux jours », lâcha-t-il au bout de quelques secondes. Le nom de Zira Ondalli faisait ressurgir des souvenirs dans la tête de Claire, des souvenirs peu flatteurs. Elle se souvenait d’une jeune femme agressive envers Xavier, et à la personnalité moins positive que ce qu’elle laissait entendre d’elle à la radio. Elles ne s’étaient d’ailleurs plus parlé depuis la mort de Xavier, Claire ayant décidé de couper les ponts délibérément, et Zira n’ayant pas essayé de renouer le contact de son côté. Pourtant, à voir Ewen aussi désemparé, elle eut de la peine pour lui, et commença à s’inquiéter pour Zira.

Dans la salle, l’affluence était maigre. Peut-être que les habitués avaient décidé de célébrer Halloween en famille plutôt que de s’entraîner ?

Deux heures passèrent. Dehors, la nuit était tombée, et plusieurs personnes avaient déjà quitté la salle. Claire fit une pause pour boire un peu d’eau. À ce moment, elle s’aperçut qu’un homme complètement hagard était entré. Il se tenait sur le pas de la porte quand un des entraîneurs finit par s’approcher de lui, lui demandant ce qu’il voulait. Il y eut une seconde pendant laquelle l’homme hagard se figea complètement, puis sauta à la gorge de l’entraîneur. Deux autres hommes entrèrent pendant que le premier buvait goulûment le sang de sa victime, mais eux avaient l’air plus alertes et avaient leurs yeux injectés de sang dirigés vers les quelques personnes qui s’entraînaient dans la salle, et ils commençaient à se précipiter vers leurs proies.

Nul ne semblait en croire ses yeux, mais le mot fut lâché : vampire. Il était impossible qu’il s’agît d’une mise en scène d’Halloween, et si la nuit de Walpurgis avait bien démontré une chose, c’était que l’incroyable et l’impossible faisaient désormais partie du quotidien. Quand une femme – un vampire - entra à son tour dans la salle de sport, la panique gagna tout le monde. Claire, elle, était miraculeusement hors du champ de vision des vampires, et en profita pour gagner la sortie de secours. À peine à l’air libre, elle se mit à courir droit devant elle, remarquant à peine les corps sans vie qui gisaient le long de la rue.

Filant aussi vite qu’elle le pouvait, elle se rendit compte qu’elle passait dans une rue qui lui était familière, au bout de laquelle se trouvait le magasin « El Marino », tenu par Juan Cazaro, qui avait hébergé Xavier pendant des mois. La pensée de revoir l’antipathique vendeur rassura pourtant Claire, qui se précipita dans la boutique. Les lumières étaient éteintes, et une odeur pestilentielle flottait. Dans l’obscurité, Claire devina deux corps étendus sur le sol, qu’elle enjamba pour accéder aux interrupteurs derrière le comptoir. Le magasin fut éclairé en quelques secondes. Les corps sur le sol étaient ceux de deux femmes. Claire observa autour d’elle afin de voir si Juan était encore dans les parages, mais elle comprit vite que la masse sombre qu’elle avait vue dans le noir n’était autre que le corps exsangue de l’Espagnol, qui s’était battu jusqu’à la fin. Claire porta la main à son cœur, une façon de rendre un dernier hommage à cet homme qu’elle n’avait jamais aimé, et réciproquement, avant de fouiller derrière le comptoir à la recherche de tout ce qui pourrait lui être utile. Elle s’empara d’un sac et y glissa le long couteau de Juan, ainsi que des fusées éclairantes et un pieu qu’elle eut du mal à extirper du cœur d’un des cadavres de vampires.

Claire pensa alors à ses parents, et se dit qu’elle devrait essayer de les rejoindre. Mais la maison était trop loin, et elle avait une dernière halte à faire qui pouvait remettre les choses dans l’ordre. L’appartement que partageaient Zira Ondalli et Ewen Merrick n’était pas si loin, et c’était peut-être la seule chance pour la ville de Kaltsee de ne pas céder à l’emprise des vampires.





À nouveau une course rapide, et Claire fut devant la porte. Elle prit quelques secondes pour reprendre son souffle, puis entra sans sonner. Seule, une petite lampe éclairait la pièce de vie… et la silhouette d’une femme.

« Claire ? C’est toi ? » demanda-t-elle.

Cette voix ne lui était pas inconnue ; au contraire, elle était reconnue de toute la ville pour son émission qui apportait des conseils et un peu de baume au cœur de nombreux jeunes et moins jeunes. Claire se risqua donc à répondre :

« Oui. Zira, c’est toi ? Ewen m’a dit que tu avais disparu.

La silhouette se déplaça dans la lumière, et Claire comprit immédiatement pourquoi elle ne l’avait pas reconnue : Zira portait un corset et une longue jupe dévoilant sa jambe gauche gainée d’un bas en résille. Sa coiffure elle-même était différente, plus sophistiquée. Claire avait toujours considéré l’habillement de Zira sans aucun goût, aussi la voir ainsi parée la rendait méconnaissable à ses yeux.


- C’est moi, lui dit-elle sobrement. Je suis revenue.

- Quelle incroyable transformation, souffla Claire.

- N’est-ce pas ? (Zira fit une pause) Oh, tu parles de mes habits ? J’en ai toujours rêvé. »

Elle fit un tour sur elle-même, faisant virevolter sa jupe.

«  Une deuxième vie, ça change tout », reprit-elle.

À ce moment, Claire contempla ses yeux : ils étaient injectés de sang. Comme si Zira avait anticipé la question, elle répondit :

«  Oui, j’en suis une. Tu ne te doutes pas à quel point c’est libérateur. »

Claire plongea la main dans le sac pour s’emparer du pieu, tandis que Zira continuait :

« Je me suis déjà nourrie ce soir. Je suis repue. Tu peux donc partir tranquille… ou nous rejoindre ! »

À ces mots, Zira fondit sur Claire, qui sortit hâtivement le pieu du sac et frappa la vampire à la tempe. Profitant du fait que son adversaire devenait chancelante, Claire prit la fuite, oubliant le sac dans sa hâte. Elle se mit à courir vers les bois sans regarder en arrière. Elle était désorientée, et plus rien ne comptait à présent qu’échapper à la créature qu’était devenue Zira Ondalli. Hors d’haleine, elle finit par s’effondrer derrière un arbre. Il lui fallut plusieurs minutes pour reprendre son souffle et ses esprits. Qu’est-ce qui avait fait de Zira un vampire ? Avait-elle tué Ewen Merrick ? Et si… ? L’espace d’un instant, elle eut une révélation : et si Xavier était aussi devenu un vampire ? Il serait sans doute venu chercher Claire, ou…

À mesure que ses tympans ne faisaient plus résonner son pouls, elle commençait à mieux appréhender son environnement : à une dizaine de mètres devant elle, elle pouvait entendre le léger bruissement de l’eau de la rivière, rivière qu’elle voyait de manière assez distincte. Les bois, étrangement, étaient silencieux, comme avant une tempête. Pendant quelques secondes, Claire retrouva son calme, comme si son coup de frayeur n’avait pas eu de cause sérieuse ; mais ce calme fut vite rompu par des pas dans les feuilles desséchées, à quelques mètres derrière elle. 



« Inutile de te cacher », retentit la voix de Zira. « Je sens parfaitement ton odeur. »

Claire sentit son pouls s’accélérer. Serrant le pieu dans son poing, elle se redressa contre l’arbre. Elle prit une longue inspiration, puis sortit de sa cachette.

Zira semblait encore toute fraîche, comme si elle n’avait fait aucun effort pour rejoindre sa victime. Sa poitrine, mise en valeur par son corset, ne se soulevait absolument pas. Claire, elle, luttait pour tenir debout malgré ses jambes flageolantes. Finalement, elle brandit son pieu en avant, résignée, en lâchant « Je te préférais quand tu étais dans la radio, Zira ! » pour se donner du courage.

Le combat qui s’ensuivit était déloyal. Claire, transie de peur, devait se battre contre une Zira en parfaite possession de ses moyens, et dont la nouvelle nature vampirique l’avait dotée de nouvelles capacités qui l’élevaient au-dessus de la condition humaine. Pendant plusieurs minutes, Claire reçut plusieurs coups assénés avec le plus grand des calmes, mais elle trouva toutefois la force de se relever à chaque fois. Elle réussit à porter elle-même plusieurs coups de pieu à son adversaire, mais jamais au bon endroit ni avec assez de force. Mais au bout de trop nombreux coups portés à sa tête, Claire finit par ne plus être capable de se relever.

Zira se pencha sur sa proie, la bouche grande ouverte sur des crocs qui n’attendaient que de plonger dans une jugulaire. Cette fois, aucun discours ne venait se poser en prélude, il ne restait que l’envie primaire de tuer. Claire sentit sa tête tourner alors que les dents acérées commençaient à toucher sa chair. Elle était perdue, elle se sentait déjà partir quand elle entendit une voix criant des mots qu’elle ne reconnaissait pas, mais qui étaient en réalité issus d’une langue très ancienne. Un bruit sourd accompagna une explosion liquide et visqueuse qui lui macula le visage et la poitrine.

Les crocs n’avaient pas pénétré sa chair, et Claire, abasourdie, vit s’effondrer le corps désormais sans tête et sanguinolent de Zira. Elle remarqua aussi une silhouette s’avancer vers elle et lui tendre la main. Le sceptre qui était dans l’autre eut un effet rassurant sur Claire.

« Ewen ! »

Celui-ci, dos au clair de lune, mit quelques secondes avant de répondre :

« Oui, c’est bien moi. C’est terminé pour elle, à présent. »

Claire prit la main de son sauveur et se redressa, les fluides de Zira coulant de sa brassière jusqu’à son nombril. Elle s’essuya tant bien que mal, mais elle savait qu’elle avait devoir prendre de longs bains pour se débarrasser du sang et de la sensation désagréable de la cervelle sur sa peau.

Ensemble, ils marchèrent main dans la main jusqu’à rejoindre la route. La lune éblouissait Claire, qui se tourna alors vers Ewen. Levant la tête, elle le trouva étrangement calme. Voyant qu’elle s’arrêtait, Ewen regarda Claire dont le visage passa alors au blanc.

« Ewen ! Tes yeux ! »

En guise de réponse, il resserra sa poigne et se pencha vers elle.