dimanche 4 novembre 2018

[Concours] Forgotten Monsters, les résultats !

Avec un peu de retard (nous pensions, à l'origine, publier ceci dans la foulée de la nouvelle d'Halloween), nous vous dévoilons les participations à notre premier concours Forgotten Monsters !

Alors oui, premier concours, une échéance courte, ça n'a pas entraîné une participation massive, mais au vu de ce que nous avons reçu, c'est quand même encourageant !

Nous avons donc reçu quatre dessins et une colossale participation écrite sous forme de nouvelle. Quand je dis colossale, c'est que le fichier fait 11 pages ! Et comme les participations sont toutes de qualité et qu'il nous est difficile de choisir deux personnes à éliminer, nous avons décrété que chacun serait récompensé !

Nous publierons donc tout ça dans Forgotten Generation 5 que chacun recevra à sa sortie, et nous solliciterons tous les talents que vous voyez dans nos publications prochaines, soit sur des histoires de Forgotten Monsters, soit sur d'autres.

Félicitations et encore bravo à nos cinq valeureux candidats !

Die Letzte en démone par Andy Lu



Ewen Merrick Zombie, par Alexandre Lavaur



Black Terror en mort-vivant par Olivier Pranlong

Ewen Merrick en loup-garou par Yannick "Alcybiade" Biret

Petit avertissement concernant cette longue nouvelle basée sur les personnages de World Justice : il s'agit d'une interprétation basée sur les informations disponibles en ligne et dans l'épisode 0, qui ne représentent qu'une infime partie de la saga que prépare Sophie Rumo.


Le Lilamazone
par Malvina Cordonnier 

Elle était sur la route depuis des jours. Heureusement, elle se trouvait toujours sur ses terres, elle pouvait s'y aventurer les yeux fermés, elle s'y retrouverait.
Elle se sentait tellement libre dans son royaume, alors elle ne savait pas à quoi s'attendre dans le monde des Hommes, sur leurs terres qu'on disait étrangères, différentes de la sienne. Mais elle avait confiance en Abaris. C'était un homme de raison. Et bien plus expérimenté qu'elle. Il l'avait visité, le monde des Hommes, lui.
Il lui avait confié quelque temps auparavant qu'être la première amazone à mettre un pied en territoire civilisé ne ferait qu'ajouter de la crédibilité à son image de guerrière. Elle serait plus respectée que jamais elle ne l'aurait été en restant sur ses terres. Abaris lui avait prédit qu'elle serait amenée à faire de grandes choses, qu'elle devait voir plus loin que le bout de sa forêt.
Alors la voici, pratiquement à la frontière entre deux mondes. Il lui restait un cours d'eau à franchir pour atteindre son but. C'était un fleuve très fréquenté, il y flottait d'étranges habitations... Des gens semblaient vivre là-dedans, mais cela ne ressemblait pas à des maisons.
Des caisses s'empilaient et débordaient de poissons multicolores... Sophicia ressentit une peine immense pour ces créatures incapables de se défendre, condamnées à être les victimes de la cruauté humaine.
Elle se dit ensuite, que pour sa sécurité, il valait mieux qu'elle se cache dans les fourrés, à l'abri des regards. Ce serait sûrement dangereux pour elle et même pour ses sœurs de se montrer aux yeux du monde. Elles vivaient recluses, en plein cœur de la forêt, à l'écart de toutes civilisations, là où personne ne pourrait les mettre en danger. Elle s'accroupit donc dans un bosquet et attendit que ce soit plus calme, avant de traverser à la nage le fleuve. Elle observa silencieusement les pêcheurs. Ils parlaient fort et avaient des rires gras. Soudainement, sans que Sophicia ne comprenne pourquoi, deux pêcheurs se sautèrent dessus et s'assenèrent des coups de poings aussi violents les uns que les autres. Les autres pêcheurs ne bougeaient pas. Ils se contentaient de regarder la scène, une cigarette au coin des lèvres. Sophicia fut consternée par la situation, mais elle ne fut pas au bout de ses surprises quand, aussi brutalement que ce fut possible, l'un des protagonistes se saisit d'un couteau et le planta dans la carotide de l'autre. Les vêtements de la victime et le sol ont été instantanément recouverts d'une mare sanglante. Quant au pauvre pêcheur, il avait viré au rouge. Le coup avait été si puissant et si profond que la lame avait tranché les chairs qui pendaient, sanguinolentes. La carotide malmenée s'était transformée en geyser, un véritable volcan en éruption.

Sophicia ferma les yeux et essaya de chasser de son esprit ces images qui lui donnaient des haut-le-cœur.
En les ouvrant, ils avaient disparu. Personne. Pas un signe de vie, pas une preuve que ces hommes étaient là, devant elle, pas même des tâches de sang !
Sophicia se dit que c'était à cause du stress ou de la fatigue, elle se mettait à imaginer des choses ! Ce voyage en terre humaine l'affectait plus que ce qu'elle pensait. Elle se donna du courage et traversa enfin le fleuve. Il n'y avait pas de courant, elle se retrouva donc de l'autre côté en deux temps, trois mouvements.
Elle traversa un bois où elle découvrit des espèces végétales qu'elles ne connaissait pas. Des fleurs aux couleurs étonnantes, qui détonaient avec la verdure alentour. Une, en particulier, attira son attention. Sa tête était ronde, et ses pétales étaient un sublime mélange de lilas et de rose pâle. Cette fleur avait un côté inoffensif et innocent. Elle semblait appeler Sophicia, et celle-ci était subjuguée par la petite plante. Elle s'en approcha, et inspira profondément le délicieux parfum qui s'en dégageait.
À partir de ce moment-là, il fallait qu'elle la cueille et la goûte. Elle ne savait pas pourquoi, mais ça l'obsédait. Elle cueillit donc la fleur, la mit avec une grande précaution dans sa sacoche en peau d'animal, et se mit en quête d'un peu d'eau pour faire une tisane. Non loin, elle tomba miraculeusement sur un petit ruisseau, préleva un peu d'eau dans une coupelle qu'elle avait pris soin d'emporter avant son départ. Elle se dégota un petit coin tranquille à l'orée d'une clairière, pour faire un feu. L'eau devait être suffisamment chaude pour profiter du goût de la fleur et de ses propriétés. Évidemment, faire le feu ne lui prit que dix minutes, et encore. Elle mit seulement un peu de temps pour trouver les matériaux dont elle avait besoin. Quelques minutes passèrent, pendant lesquelles les pétales infusaient l'eau. Ils flottaient dans ce micro océan enfermé dans un récipient de bois, et semblaient danser sous les yeux de Sophicia. Comme une parade amoureuse, dans le but de la séduire. Ses iris noisettes se perdaient dans le lilas.

Au bout d'un temps qui parut infiniment long, elle souleva la coupelle et porta le liquide parfumé à ses lèvres. Une douce mais forte sensation lui parcourut l'échine comme une caresse, le goût de la fleur était indescriptible. À la fois doux et corsé, avec une touche d'amertume, elle se sentait légère, et capable de tout. Une impression naissait en elle : que son destin était de traverser ce bois, de trouver cette fleur, de la goûter.
Elle se sentait différente. Elle était différente. Se rappelant pour quelle raison elle était ici, elle poursuivit son chemin, finissant par arriver à l'entrée d'une jungle de béton, peuplée par des insectes faits de tôles et de plastiques. Elle eut, la seconde suivante, comme un flash. Elle se trouvait au même endroit, mais la situation était différente. Elle assistait au déclin de la civilisation. Elle voyait des gens qui hurlaient en passant devant elle, mais elle était comme invisible et indifférente à ce qui se passait. C'était comme si elle était dans l'action, tout en la regardant de loin. Les gens avaient peur; ils pleuraient, étaient blessés, ou choqués, les vêtements abîmés ou souillés par la poussière et la terre. Elle leva les yeux et vit des boules de feu tomber du ciel, et s'écraser sur les insectes géants, les embrasant, sur les habitations, les faisant exploser en milles morceaux qui volaient çà et là, déchiquetant au passage des membres, heurtant violemment des têtes, qui au final, ne ressemblaient plus à des têtes, mais à un tas d'os et de bouillie cérébrale, qui nourriraient la terre pour faire éclore une vie nouvelle. Des gens étaient prisonniers des flammes, ils brûlaient, leur peau fondait, leurs viscères s'étalaient sur le sol, mais ils parlaient toujours ! Sophicia entendait leurs voix qui appelaient à l'aide, qui suppliaient pour que ça s'arrête. Les voix étaient tellement nombreuses, et tellement bruyantes, qu'elle dut se couvrir les oreilles de ses mains pour ne plus les entendre. Brusquement, ça s'est stoppé. Et elle était revenue à la frontière, au bord de cette jungle urbaine encore debout sur ses fondations. Sophicia ne comprenait pas ce qui venait de se passer, elle n'en avait pas la moindre idée... Ça paraissait réel, elle avait ressenti la souffrance de tous ces inconnus, elle avait entendu leurs voix... Elle supposa que c'était depuis qu'elle avait goûté la fleur inconnue qu'elle pouvait les distinguer aussi nettement... Elle sentait que la fleur avait quelque chose de mystique, d'étrange, mais ça ne l'avait pas effrayée pourtant. Elle n'avait pas peur, pour elle c'était un don des dieux. Il l'avait choisie, elle, simple guerrière amazone qui quittait pour la première fois sa terre. Elle devait honorer ce don, et l'utiliser pour faire le bien. Venir en aide aux bonnes voix, et ignorer les mauvaises.

Elle s'avança dans ce dédale de blocs, regardant partout autour d'elle. Elle croisa des gens, des enfants, des adultes, habillés de façon très étrange. Ils portaient des déguisements plus effrayants les uns que les autres. Des sorcières, des fantômes, des monstres difformes, des créatures dont on ne savait pas à quoi elles ressemblent tellement elles sont hideuses, qui n'ont leur place que dans des contes destinés à faire peur aux enfants turbulents, aussi des choses similaires à des êtres humains mais en plus baveux, avec un air maladif permanent, agressifs, et ayant tendance à dévorer de la viande crue et très fraîche.
Certains avaient des déguisements colorés ou à l'effigie de bonnes entités, comme des princesses, avec de longues robes qui brillaient de mille feux, des petites fées, leur paire d'ailes et leur baguette, des nymphes, ces adorables créatures des forêts, et de tout petits hommes qui lui arrivaient à la taille.
Sophicia ne connaissait pas cette fête et ne savait pas non plus quelles divinités ils devaient célébrer, il y en avait tellement de représentées !
Elle n'était pas à son aise, ne savait pas où se mettre, même si ces adorateurs ne lui prêtaient guère attention. Elle était déguisée, parmi tant d'autres. Et les voix commençaient à revenir, mais différemment. Elle entendait les pensées des individus qu'elle croisait. Son don était plus étendu que ce qu'elle croyait. Mais ce qu'elle entendait lui faisait dresser les poils de la nuque. Elle entendait des choses blasphématoires, des formules comme « des offrandes ou un sort », des invocations d'esprits faites par des inconnus au visage masqué, se promenant avec des machettes, des couteaux, d'autres outils maculés de sang... Ils parlaient de morts, de sacrifices, de sang versé... Elle voulut s'éloigner de ces voix, mais elles la suivaient... À l'écart, se pensant à l'abri, elle vit plusieurs dévots former un cercle. Au milieu de ce cercle, un grand feu dansait la gigue. Tous portaient une longue robe noire qui leur tombait bas sur les chevilles. Ils étaient masqués, et Sophicia ne parvenait pas à distinguer leurs yeux. Ils entouraient le feu. À même le sol, à côté de ce dernier, se trouvait un être miniature fait de chiffons et de vêtements. Le petit être miniature était couvert de longues tiges fines et pointues sur les bouts. Du sang sortait de chaque orifice créé par ces tiges mortelles.

Des voix bien plus inquiétantes que les autres s'élevèrent de ce groupe, comme une litanie maléfique... Des mots, surtout, qui lui donnaient froid dans le dos.

    « Tuer... innocent... un coeur pur... brûlé par les flammes du Mal... »
Sophicia aurait voulu bouger pour s'enfuir, cependant elle était tétanisée, ses jambes refusaient de lui obéir. Elle n'aimait pas ce qu'elle voyait, elle n'aimait pas se trouver dans le monde des Hommes, elle était horrifiée par ce qu'elle découvrait. Elle n'était pas au bout de ses peines. Un personnage s'était avancé au centre du cercle, et s'était positionné à côté du feu. De sous sa robe, il sortit un linge et le montra à l'assemblée. Des bruits montèrent des gorges. Ils appréciaient ce qu'ils voyaient. Mais des plaintes bientôt vinrent du linge. Des bruits caractéristiques d'un bébé. Sophicia se liquéfia.

    « Ils ne vont tout de même pas.. ? » murmura-t-elle pour elle-même.
Elle ne voulait faire aucun bruit pour ne pas attirer leur attention. La dernière chose qu'elle souhaitait, c'était de finir dans les flammes de l'Enfer. Le personnage à côté du cercle leva très haut le linge pour que toute l'assemblée puisse bien voir, et d'une main, il ajusta le bout de tissu de façon à ce qu'on voie la tête du nourrisson apparaître. Il était en pleurs, se demandant où il était, qui ils étaient et où était passée sa maman…

C'en était trop pour Sophicia. Elle fit demi-tour et se mit à courir en direction de là où elle était arrivée. Malgré sa bonne volonté, elle ne put ignorer les hurlements de douleur de l'enfant. Ses beuglements cessèrent très vite, pour laisser place à un silence morbide. « Ils l'ont fait, pensa-t-elle, ils ont jeté ce pauvre bébé au feu ! ». Ces monstres étaient dépourvus d'âme... ils l'avaient vendue au Diable !
Elle en voulut à Abaris de lui avoir mis cette stupide idée en tête ! Pour rien au monde, pas même la puissance ni la réputation, elle ne perdrait son âme, ses valeurs et son bon cœur dans ce monde vil et infect.
En chemin, elle croisa bon nombre de fous qui hurlaient la résurrection de l'esprit du mal et qui lui souriaient bizarrement, un peu menaçants.

    « Mes sœurs, mais où suis-je tombée...? Ce monde est horrible, rongé par le mal. J'ai même vu sa fin... Je veux retourner sur mes terres et retrouver les miens... Je veux oublier ce que je vois ici, ce qu'ils font... »
Elles passaient leur vie à vouer un culte à de bonnes divinités, à ne pas vivre dans le péché, à œuvrer pour le bien. Elles respectaient la nature, et mangeaient juste ce qui leur permettaient de rester debout. Hors de question de tuer des animaux pour jouer ou gaspiller la nourriture. Leurs vêtements et accessoires faits de peaux animales étaient prélevés sur des animaux déjà morts.
Tandis qu'elle franchissait pour la deuxième fois la frontière, aussi discrètement que la première fois, pour s'enfoncer dans les bois, elle songea à la chance qu'elle avait de vivre dans un havre de paix, qui lui manquait terriblement.

La lumière du jour avait fortement baissé, nous étions au crépuscule. Déjà, les nuances orangées du ciel au coucher du soleil se faisaient dévorer par l'obscurité de la nuit. Le jour mourait, comme la vertu en ce bas-monde. Sophicia n'eut pourtant pas de mal à marcher dans une obscurité qui gagnait du terrain. Au fur et à mesure qu'elle progressait, les voix provenant du monde des Hommes s'atténuaient pour disparaître. Bientôt remplacées par d'autres. Des voix que Sophicia ne connaissait que trop bien…

«Sophicia, ma sœur, pardonne-nous de ne pas avoir pu nous défendre contre l'ennemi » ; « Ma sœur, je prie pour qu'il se passe un miracle, pour que tu viennes nous délivrer de ton bien-aimé » ; « Méfie-toi de lui, princesse, il n'est pas si bon, il est le mal en personne, il est mauvais »

Sophicia, qui sentit son cœur battre à tout rompre, avait peur de comprendre. Elle entendait les pensées de ses sœurs, mais certaines finissaient par s'éteindre, et elle ne les entendait plus... ses sœurs souffraient, elles avaient mal, physiquement, et son compagnon y était pour quelque chose. Si c'était bien ce qu'elle croyait, son bien-aimé avait profité de son absence pour attaquer les siens. Les amazones ne s'étaient pas méfiées, elles connaissaient Abaris, enfin pensaient le connaître.
Pourquoi aurait-il fait ça ? Cela n'avait pas de sens ! Lui qui s'était engagé à étendre le territoire des amazones, qui les avait aidées à protéger leurs terres, et à améliorer leur quotidien, et qui partageait la vie de Sophicia depuis tout ce temps... Était-ce un double jeu depuis le début ? Ne l'avait-il séduite que par intérêt ? Qu'attendait-il d'elle ? Quelles étaient ses intentions ? Travaillait-il pour quelqu'un ?

Toutes ces questions trottaient dans la tête de Sophicia pendant qu'elle courait le plus vite que pouvait le lui permettre ses jambes. Il lui semblait qu'elle courait beaucoup plus vite qu'avant, et que son endurance s'était considérablement améliorée. Elle voyait du coin de l’œil les arbres défiler en une ligne sombre ininterrompue. Elle survolait presque le sol, tant sa vitesse était surnaturelle.
Elle avait mis cinq jours à l'aller, et devait se surpasser pour ne mettre qu'une journée au retour. Elle avait pensé faire un détour pour demander de l'aide à une tribu qui vivait non loin d'elle, mais la réputation d'Abaris avait traversé les forêts, les plaines et les montagnes avant lui. Il était réputé l'un des guerriers les plus fort et les plus impitoyables qui soit. Et ses hommes étaient entraînés à faire la guerre. Personne n'aimerait l'avoir comme ennemi. Elle devait donc s'attendre à combattre seule, et c'est ce qu'elle ferait. C'était à elle de mener ce combat.

Plus elle approchait, plus elle sentait l'adrénaline monter en elle. Abaris ne s'attendrait pas à la voir revenir si tôt, elle aurait donc l'effet de surprise.

Elle finit enfin par arriver à proximité de son camp. Elle se cacha pour observer ce qui se passait. Elle entendait toujours les voix, des voix qui suppliaient l'ennemi de mettre un terme à leur douleur, de les laisser partir. Elle imaginait Abaris refuser d'abréger leur souffrance, il chercherait à continuer à faire mal, à lire l'agonie sur le visage de ses prisonnières. Ça le conforterait dans son ego de mâle... Il était bien connu pour faire durer le supplice jusqu'à ce que ses victimes le supplient de les achever pour être enfin en paix. C'était un monstre, comme ceux qu'elle avait vus dans le monde des Hommes. Et les monstres n'avaient pas leur place ici dans cette forêt.
Abaris avait fait appel à ses troupes. Ils étaient là, en train de démolir ce que Sophicia et les amazones avaient mis tant de temps à construire. Ils saccageaient les huttes, y mettaient le feu une fois dérobé ce qui avait de la valeur et attachaient les guerrières encore en vie à un tronc d'arbre. Les malheureuses étaient fouettées à sang, frappées à coups de bâton, brûlées par des barres métalliques qui dormaient dans un feu.
Une bouffée de haine monta en Sophicia. Elle allait les venger. Elle ressentit soudain une gêne, et baissa les yeux sur ses mains qui lui démangeaient. Elle s'aperçut que des aiguillons, des dards venimeux, lui étaient poussé sur le dos des mains. Elle ne se demanda pas comment c'était arrivé là, elle n'avait pas le temps. Elle y réfléchirait plus tard. Bien qu'elle pensât à la plante. Mais sur le moment, elle était juste ravie d'avoir une arme qui ferait la différence. En observant l'arsenal de son ennemi, elle vit qu'ils possédaient ces espèces d'armes à feu dont elle avait tant entendu parler. Seulement, elles étaient longues à recharger. Ils devaient mettre de la poudre dans la gueule, enfoncer une tige dedans pour tasser, et ensuite y mettre la balle. Le temps qu'ils rechargent, elle pouvait les attaquer, c'était ça son ouverture.
Il y avait des soldats en retrait du camp, postés là pour surveiller les alentours, et l'arrivée éventuelle de Sophicia. Elle devait se concentrer malgré les plaintes de ses sœurs, qu'elle n'entendait plus dans sa tête, puisqu'elle les voyait de ses propres yeux. Visuellement, c'était compliqué à gérer de voir les tortures, c'était la première fois qu'elle voyait les amazones en difficulté, elles qui habituellement menaient sur tous les fronts quand elles devaient se défendre.
Sophicia se demandait par quel guerrier commencer. Le plus proche d'elle était trop près du camp, donc mauvaise idée de l'attaquer, il ameuterait les autres. Elle changea de cap et se déplaçait en s'accroupissant dans les hautes herbes. Elle était juste derrière un guerrier en retrait par rapport aux autres. Il était un peu éloigné du camp, elle pouvait toujours tenter sa chance. Se servir de ses dards auraient été envisageables si elle avait été face à lui, pour mieux viser le cœur. Mais là, voler l'arme de poing de son adversaire, c'était jouable. Le guerrier tenait son fusil dans les mains, mais il avait un couteau bien affûté accroché à l'arrière de sa ceinture. Sophicia resta calme, respira lentement et approcha doucement la main. Elle regardait régulièrement si quelqu'un rappliquait ou l'avait repérée, sauf que pour le moment, elle était passée incognito. Parfait, pour l'instant, ça se passait comme sur des roulettes.

Elle réussit à se saisir du couteau sans que son propriétaire s'en rende compte, l'empoigna bien, se releva. La lame du couteau luit dans la pénombre et le soldat n'eut pas le temps de se retourner qu'il se retrouva la gorge tranchée. Sophicia l'ouvrit d'une oreille à l'autre. Le sang gicla, se projeta sur les troncs d'arbres pour les recouvrir, telle une toile. Elle couvrit la bouche du mourant, appuya fortement et l'accompagna lorsqu'il s'écroula au sol. Elle prit soin de le cacher dans de grandes fougères, sachant que c'était provisoire, que tôt ou tard, ses compagnons finiraient par tomber dessus. Elle prit également le fusil, chargé, et emporta quelques minutions. Ça pourrait servir, sait-on jamais.
Elle se faufila jusqu'au prochain garde. Il était assis sur un gros rondin de bois et somnolait. « Malheureux, tu vas regretter de t'être endormi quand je t'expédierai faire une sieste éternelle ». Sophicia s'avança jusqu'à lui, pour lui faire subir le même sort que son comparse. Au moment où elle passait juste à côté de lui, il émit un grognement sourd et eut un sursaut. Elle s'immobilisa et retint sa respiration. Ouf, fausse alerte. Il s'était bel et bien endormi. Sophicia le regarda quelques secondes avant de lever le bras, et de presque littéralement le décapiter. Elle lui sectionna les cordes vocales. Sentir la lame le transpercer l'avait réveillé en sursaut, mais il n'eut pas le temps de voir qui l'avait agressé, déjà sa vue se brouillait, et il suffoquait. Il ne pouvait prononcer aucun mot, il était coincé dans un mutisme qui mourait avec lui. Il tenta vainement de tendre le bras pour attraper Sophicia, mais il retomba mollement sur son flanc, et ce fut le deuxième à rendre son dernier soupir.

Tout comme le premier, elle cacha le corps et les armes pour ne laisser aucune trace. Elle se camoufla derrière un rocher pour observer ses ennemis. Il restait trois hommes de main, et Abaris lui-même, toujours occupé à violenter les amazones. Et là, ça commençait à être plus compliqué. Deux des hommes étaient l'un à côté de l'autre à l'entrée du camp, et se délectaient du spectacle que leur offrait leur chef. Le troisième était en train de fouiller une hutte et sortait quand il trouvait quelque chose d'intéressant. Abaris malmenait les guerrières ligotées devant la hutte de Sophicia. C'était tellement symbolique vu sous cet angle... Elle tendit l'oreille pour essayer de percevoir des bribes de conversation.
    « Où il est ? » demanda lentement Abaris à la plus jeune des amazones. Il l'avait saisie par les cheveux et les empoignait fermement, clairement décidé à les arracher un par un pour obtenir une réponse.
La pauvre amazone, Cléridis, pleurait à chaudes larmes et ne semblait pas comprendre de quoi il parlait.
« Je.. je ne sais pas... », hoquetait-elle de terreur, la voix à moitié étouffée par des sanglots. « Je ne vois pas... ce que... ce que vous cherchez... pitié, relâchez-nous... »

Abaris la fixa avec mépris. Il la lâcha, elle tomba par terre. Sophicia crut déceler un infime soulagement sur son visage. Soulagement qui fut de courte durée. Abaris vint se placer derrière elle, positionna ses mains de chaque côté de sa tête, et lui tordit le cou. Un coup sec et bref, retentissant dans cette forêt silencieuse. Sophicia ferma encore les yeux, secoua tristement la tête. En les rouvrant, une larme s'échappa de son œil droit et glissa sur sa joue. C'était toujours douloureux de voir mourir ceux à qui on tenait. Elle ne méritait pas de mourir, pas maintenant, pas de la sorte. Abaris serait sa dernière cible. Sophicia l'avait décidé ainsi.

Elle allait d'abord s'attaquer aux deux qui se postaient à l'entrée. Mais elle allait devoir se mettre en hauteur pour ça. Dans le cas où elle parvenait à toucher une cible, même les deux, Abaris et le troisième homme seraient aussitôt informés qu'il y avait un intrus. À terre, ses chances de survie n'était pas nulles, mais avec un individu de la trempe de Abaris, mieux valait jouer la prudence. Si le coup venait d'en haut, ils ne s'en apercevraient pas tout de suite et chercheraient dans les bosquets qui était l'auteur de la tentative de meurtre.
Sophicia choisit donc un arbre à mi-chemin des hommes, dans l'ombre pour lui conférer une plus grande liberté de mouvements. Elle alla ramper jusqu'à lui, et grimpa le tronc. Elle avait toujours été douée pour l'escalade, savait comment se placer et où mettre ses pieds. Seulement quand elle s'entraînait, c'était pour le plaisir, ce n'était pas une question de vie ou de mort. De ce fait, ça avait un impact direct sur sa montée, qui se faisait plus nerveuse, plus crispée. Ils ne faisaient pas attention à ce qui se passait alentour de toute manière, ils avaient baissé leurs gardes, distraits par la violence et la monstruosité en personne.
Sophicia continua de grimper jusqu'à arriver à la cime de l'arbre. Les branches étaient très épaisses et solides, elles pouvaient se mouvoir dessus sans crainte.
Elle s'installa, mais dans sa précipitation, secoua une branche qui fit tomber quelques feuilles. L'une des guerrières amazones s'en rendit compte, leva discrètement les yeux, les plissa légèrement et aperçut Sophicia qui lui faisait un signe de la main, puis mit son index devant sa bouche fermée, indiquant qu'elle devait rester tranquille et faire comme si elle n'avait rien vu.
Elle vérifia que le fusil était bien chargé, puis le mit en joue, visant l'un des deux hommes à la tête. Elle souhaiterait que le coup les atteigne tous les deux, mais il ne fallait pas trop en demander non plus. Elle colla son œil droit au viseur, braqué sur l'un des sbires qui éclata de rire suite à l'humiliation subie par une vieille guerrière. Celle-ci venait de se faire raser la tête. Elle encaissait courageusement les mutilations que lui faisait subir Abaris.

« Je te hais, Abaris. Ta fin est proche ».

Elle approcha son doigt de la gachette, et c'est ce moment que sa cible choisit pour bouger et aller rejoindre celui qui fouillait les huttes. Sophicia voulut hurler sa frustration, mais c'était impossible évidemment. Il restait l'autre à éradiquer. Alors elle le visa. Et appuya. La détonation craqua dans la forêt et se répercuta dans le ciel nocturne. C'était assourdissant. Sophicia avait un peu mal aux oreilles avec le vacarme que le fusil avait produit. Elle le savait puissant et destructeur, mais elle n'imaginait pas à quel point. La tête de l'homme avait littéralement explosé, comme une pastèque. Le bruit de chairs, de tissus, de masse cérébrale heurtées par la balle était insoutenable. Mais le pire était la tête après l'impact de la balle. L'homme avait un trou qui lui avait bouffé la moitié du visage ; la boîte crânienne gisait, vide, une entaille béante en son cœur, la cervelle fumait et était disloquée, rouge sang, secouée de temps à autres par des petits soubresauts.
Sophicia se forca à regarder ailleurs pour ne pas vomir. L'attaque avait réveillé les autres qui regardaient partout autour d'eux, cherchant d'où ça venait. Abaris avait interrompu sa séance de torture pour prendre son fusil, vérifier ses recharges, et avancer prudemment jusqu'au bord du camp, braquant l'arme sur chaque tas de feuilles qu'il croisait. Les deux autres s'étaient rapprochés l'un de l'autre. Ils se parlaient tous les trois, mais Sophicia ne comprenait pas ce qu'ils disaient. Ils criaient presque, et avaient l'air paniqués. Effet de surprise.

Comme elle l'avait pensé, ils cherchaient d'abord dans les fourrés et bosquets et tiraient à vue de tout ce qui aurait pu ressembler de près ou de loin à un homme. Ou une femme, mais visiblement, ils n'avaient pas encore compris qui était leur ennemi. Ils ne tardèrent pas à trouver les dépouilles qu'elle avait cachées plus tôt. Ils regardèrent partout autour d'eux, se sentant épiés, observés, traqués. Ne sachant que faire contre un adversaire invisible, qui maîtrise son environnement.
Sophicia sortit de sa sacoche de la poudre noire à mettre dans la gueule du canon, tassa un peu la poudre avec une petite branche qu'elle trouva, puis inséra une balle. Abaris criait des recommandations à ses deux sbires, et bientôt, il n'en resta qu'un. Sophicia lui défonça le crâne de la même manière que le précédent. L'homme s'effondra sur le sol dans un bruit sourd, nageant dans une mare de sang où flottait des bouts de peau, des cheveux entremêlés, un œil sorti de son orbite. Plus que deux.
L'amazone qui avait repéré tout à l'heure la princesse, regarda de nouveau en l'air pour repérer sa sœur. Abaris, qui s'était tourné vers elle au même moment, capta son regard... Il leva lui aussi les yeux vers la cime des arbres.
Au même moment, Sophicia, qui ne s'était pas rendu compte que l'une des siennes venait de trahir involontairement sa position, s'était débarassé du fusil en le posant un peu plus loin sur la branche où elle se trouvait. Elle voulait essayer ses aiguillons sur sa prochaine cible. Le dernier homme de main qui se liquéfiait sur place, à deux doigts de s'enfuir en courant.
Sophicia leva le bras et ferma le poing de manière à bien viser. D'un seul mouvement de la main, un aiguillon fut projeté à une vitesse affolante, et atterrit pile dans le cœur de l'homme, qui se contracta de douleur. Son visage affichait une horrible grimace, et il se mit à gonfler, enfler pour finir boursouflé. L'homme porta la main à son cœur, tomba à genoux, et commença à avoir du mal à respirer. Son visage devint rose, puis rouge, vira au bleu, et au violet quand il se raidit pour de bon.
Abaris le regarda, puis leva de nouveau les yeux vers l'arbre où se trouvait sa compagne. Celle-ci comprit qu'elle avait été repérée. Elle se figea pourtant, pensant que son cher et tendre ne pourrait pas la voir au travers du feuillage.

    « Tu peux descendre, chérie », l'appela-t-il, « il n'est plus l'heure de jouer à cache-cache. »
Et mince. Elle sauta de l'arbre, et atterrit sur ses pieds, à quelques mètres d'Abaris. Il la fixa de la tête aux pieds, moitié fier d'elle, moitié furieux qu'elle soit revenue et qu'elle ait décimé une partie de ses hommes. Sophicia savait ce qu'il pensait, et elle espérait se servir de son don pour déjouer ses manœuvres.

    « Il était comment, ce voyage ? fit mine de s'intéresser Abaris.
  • Horrible. Mais merci de t'en inquiéter. C'est un monde affreux, peuplé de gens égoïstes qui ne voient pas que leur fin est proche. Des dévots du Malin qui invoquent les mauvais esprits sans connaître les conséquences de leurs actes. Ils étaient monstrueux, vénéraient des divinités qu'on ne devrait même pas évoquer... et je retrouve la même chose ici, chez moi.
  • Allons donc, je suis surpris de te voir ici, je ne m'attendais pas à ce que tu rentres si tôt. D'ailleurs, j'espérais tout simplement que tu ne reviennes pas. J'aurais pu avoir la mainmise sur tes territoires qui me reviennent de droit. Après tout les sacrifices que j'ai faits, je méritais au moins ça, et tous les bijoux qui traînent dans vos huttes de sauvages.
  • Pourquoi ? fut tout ce qu'elle trouva à répondre, encore sous le choc de la véritable nature de Abaris.
  • Je te l'ai dit. Je veux régner sur ces territoires, je les étendrai jusqu'au monde des hommes, que je contrôlerai aussi, et je deviendrai le maître du monde. Je suis le nouvel empereur, je le sais, je le sens. Ces terres regorgent de richesses, et je pense sincèrement que c'est un terrible gâchis que ce soit des femmes, qui plus est des sauvages, même pas de vraies femmes qui soient à la tête de ces merveilles.
Sophicia se retint de pleurer. Comment pouvait-il dire des choses pareilles... après tout ce qu'ils avaient fait ensemble...

  • Il fallait aussi que tu saches que... je ne t'aime pas, je ne t'ai jamais aimé et ne t'aimerai jamais. Tu étais juste un outil, un pion, pour me rapprocher de tes sœurs et mieux vous approcher. J'ai déjà une promise en mon royaume, bien protégée par d'autres de mes soldats, comme ceux que tu as assassinés. Des tas d'autres soldats. S'il m'arrivait quelque chose, ils en seraient tout de suite informés, et viendraient faire de ta vie de recluse un cauchemar. »
Sophicia ne dit rien, elle se contentait d'écouter. Elle ne pensait plus. Son esprit était bloqué, ce qu'il disait entrait et sortait. Il y avait comme un mur qui rejetait toutes les méchancetés qui sortaient de sa bouche. Mais malgré cela, ça énervait considérablement Sophicia, qui avait une très grosse envie de lui enfoncer en plein cœur un de ses aiguillons et de le voir s'étouffer avec ! Elle entendit soudain une pensée de Abaris. Il lui racontait tout ça pour la distraire, parce qu'il avait l'intention de prendre en otage une des amazones, et de la monnayer contre Sophicia elle-même. Il recula légèrement, tout en continuant de débiter son baratin. Au moment où il avançait sa main pour attraper une des guerrières par la gorge, elle tendit le bras, ferma le poing et projeta un de ses dards dans la gorge d'Abaris. Il se raidit, stupéfait, les yeux ronds, perdant le fil de ce qui se déroulait sous ses yeux. L'amazone, profitant de cet instant d'égarement, se dégagea de son étreinte.
Sophicia tendit une fois de plus le bras, et envoya un dard en pleine tête, sur le front pour être plus précise. Elle laissa s'exprimer sa rage et le bombarda d'aiguillons. Il s'en prit dans le bras, dans les jambes, le ventre. Il était enflé de partout. Lui qui était si beau, était maintenant devenu difforme, à l'image des hommes qu'elle avait rencontré plus tôt.
À genoux par terre, prostré, il avait perdu de sa superbe. Il était misérable, pathétique. Dans les derniers instants de sa vie, il essaya de prononcer quelques mots, mais suffoquant, il toussait et crachait ses poumons. Elle eut plus de cœur que lui, et décida d'abréger ses souffrances, pour libérer le monde d'un tel fardeau. La dernière image qu'il eut d'elle, ce fut son visage déterminé quand elle lui envoya deux pics simultanément en plein cœur.
La terre était débarrassée d'un monstre, mais il en restait beaucoup encore à décimer. Ses sœurs lui demandant quel était cet arsenal qu'elles n'avaient jamais vu, elle leur promit de leur raconter plus tard. Pour le moment, elles devaient se préparer à affronter le mal.
Elles allaient partir à la recherche du royaume d’Abaris, pour nettoyer la saleté qui polluait leur si beau monde.
Elles marchèrent donc, toutes ensemble, vers leur destin.

1 commentaire:

  1. Félicitations à tous les participants et Merci à Florian et AGS pour cette opportunité.

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