mardi 12 novembre 2013

Les Rencontres du 9e Type 2013, le compte rendu officiel (un mois plus tard)


 Parce qu'il n'est jamais trop tard, voici l'heure de vous raconter la journée du 10 octobre 2013 aux Rencontres du 9e Type à Poitiers.

Un périple raconté par Florian, et mis en images par Fabien et Alexis.







C'est à pieds que nous partîmes, Fabien et moi, chargés comme des mules et sous la pluie. L'ouverture aux exposants était à 8h, on est arrivés sur les lieux vers 9h. Le temps de saluer les gens, de repérer les lieux, de régler les petits problèmes de logistique, l'installation du stand s'est finie alors que les premiers festivaliers arrivaient, soit à 10h. 






 A noter que nous étions vernis : notre stand était à l'étage dans un coin très peu pourvu en lumière, et situé juste à côté de l'escalier, de sorte qu'on aurait pu nous rater sans trop de difficultés, mais finalement non ! Quelques curieux se sont arrêtés durant cette première heure, puis Alexis a fini par arriver, l'occasion de se faire immortaliser par l'appareil photo de Fabien et de se motiver mutuellement à crobarder comme les jeunes foufous que nous sommes. Il fallait bien marquer le coup, étant donné que c'était la première dédicace d'Alex et mon premier salon où Arcadia était représenté par deux auteurs.


 Et ensuite ? Eh bien on a eu pas mal de monde, et on a enchaîné pas mal de dédicaces avant la pause déjeuner ! Un couscous plus tard, c'était reparti plus calmement, mais on a quand même eu une bonne affluence, notamment les collégiens de Saint Jean de Sauves dont l'enthousiasme nous a fait très plaisir et qui sont repartis bien pourvus en dédicaces (on attend toujours les scans et photos, les petiots !). Mais on a eu aussi bon nombre d'adultes.



 Oui, des fois on ne pouvait même pas nous voir derrière le public, signe que le festival a bien fonctionné pour nous. Mais si le public a été bien présent, on remercie également les bénévoles qui ont fait en sorte qu'on ne manque de rien ; comme l'an dernier, sauf que cette fois, ils devaient monter et descendre l'escalier pour rejoindre les différentes salles, ce qui rend leur dévouement d'autant plus courageux. En revanche, il nous a été impossible d'assister aux spécificités du festival (rencontres avec des auteurs et concert), étant donné que nous étions au stand, donc difficile de voir le surpassement des organisateurs.

Dernières dédicaces, puis nous avons fini par remballer tranquillement, avant d'aller manger quelques gâteaux apéritifs au rez-de-chaussée avec tout le monde, et de prendre congé. Il existe des témoignages compromettants de la soirée qui a suivi, mais je ne les divulguerai que pour un prix exorbitant. Quoique... Non, vaut mieux pas, nous sommes tous compromis.

Une bonne journée, conclue par une bonne soirée, c'était le top ! 9e Art En Vienne, on revient quand vous voulez !

Comment finir autrement que par des photos de dédicaces ? C'est les seules qu'on a pu prendre, il en manque donc beaucoup.







 BONUS TRACK !

Un compte rendu du festival de l'an dernier avec une photo plein pot prise sur le stand ! Il a fallu que je cherche sur le net pour tomber par hasard dessus, mais bon, voici le lien, sur le blog de la Coccinelle ! Amusez-vous bien !




dimanche 10 novembre 2013

Prose : Lord Corlatius - Il est temps


LORD CORLATIUS

Il est temps

par Ben Wawe

La lourde porte en bois s’ouvre dans un grincement. Les effluves d’encens, de mets sophistiqués, d’alcool et de cervelle humaine fraîche accueillent les trois nouveaux arrivants ; un concert de murmure couvre les gémissements du prisonnier.
Propulsé à terre, bâillonné, entravé par des chaînes millénaires venues d’un autre monde, ce dernier lève lentement les yeux et découvre de nouvelles horreurs. Femmes aux visages défigurés, collés deux à deux par des opérations réalisées par des mains expertes et sadiques ; nains aux yeux arrachés, dont les globes secs pendent le long de leurs cous atrophiés ; cadavres frais de jeunes vierges qui serviront bientôt de défouloir sexuel ; rôtis de cuisses humaines, assaisonnés de doigts en rondelles ; créatures inhumaines se réjouissant de la venue d’une nouvelle victime, propre à tromper leur ennui millénaire.
Ryumaru Nogard pousse un long soupir et serre les dents. Les portes de l’enfer se sont ouvertes, et il a plongé dedans.

Agenouillé au centre de la pièce, le jeune franco-japonais sent sur lui des dizaines d’yeux vitreux, appartenant à des créatures qui ne devraient pas être ici. Il ne bronche pas.
Dans cette salle sphérique, aux murs rougis par la peinture et le sang qui s’y déverse depuis trop longtemps, une douzaine de monstres attend le prochain mouvement, la moindre réaction de leur nouvelle proie ; Ryumaru se contente de bouger les yeux pour tous les fixer, le visage neutre – hors de question de leur donner la moindre trace de terreur, la moindre faiblesse. Ils devront faire mieux.

« Je n’ai pas commandé d’encas », glisse une voix sifflante juste en face. Assise sur un immense trône en os et crânes humains, une forme humanoïde, à la peau violacée, esquisse un sourire sadique avec une bouche disproportionnée. Vêtue simplement d’un caleçon sombre, la créature arbore un torse impressionnant, surmonté par un crâne ovale muni de deux yeux rectangulaires et d’oreilles pointues. Son expression terrifie Ryumaru, mais à nouveau il ne le montre pas – pas encore.
« Il a tenté de pénétrer dans la Tour, Maître », répond d’une voix calme un de ses deux geôliers. Grand, blond, musclé, droit dans ses bottes, il est l’aryen parfait, alors que son collègue est de taille moyenne, roux et vaguement ventripotent. Tous deux portent des combinaisons sombres, avec deux armes à feu sur les hanches, et ils savent s’en servir.
« Ah oui ? C’est un touriste ? », répond la créature violacée en jetant un regard glacé à l’assemblée hétéroclite de monstres, peuplée de bêtes ailées, parfois humanoïdes, parfois non. Un éclat de rire général et forcé suit, quand la cour comprend que son roi veut être applaudi.
« Nous pensons qu’il est venu chercher un de vos… jouets, Maître », réplique le grand blond en posant son regard à quelques mètres de là, sur un monticule informe, repoussant – un tas de chair. Si plusieurs fauteuils, poufs, canapés et tables sont éparpillés contre les murs, cette partie de la pièce est légèrement abandonnée, dévolue aux déchets – aux restes.
« Ah… je vois. Tu as voulu retrouver un proche, jeune humain ? Un frère, une sœur ? Une compagne, un compagnon ? », murmure la créature en s’avançant, ses mains à quatre doigts crispées sur les bras de son trône. « Trouve ton bonheur si tu le peux, petit homme… il est toujours amusant de vous entendre hurler en découvrant que vos espoirs de fin heureuse sont déçus. »

Le roux ventripotent donne un violent coup de genou dans le dos de Ryumaru, pour le pousser en avant ; il ne parvient pas, cette fois-ci, à retenir un frisson.
Il rampe lentement, les poignets enchaînés, pour s’approcher du tas dégoûtant. Ce n’est que l’ultime étape de cette plongée dans l’horreur de la Tour, ce bâtiment de treize étages perdu dans une banlieue sombre de Budapest, que la municipalité a abandonné après la construction de cette monstruosité. Grande, écharpée, terrifiante, la bâtisse est digne des pires récits d’horreur, mais Ryumaru a découvert que ses cauchemars étaient hautement en dessous de la vérité au fil de ses découvertes.

Douze étages de vice, de folie, de mort, de tortures et d’horreurs lui ont été présentés par ses deux geôliers, qui l’ont appréhendé alors qu’il essayait, sans grand talent, de s’introduire discrètement dans la Tour.
Lentement, palier après palier, au fil des longues marches en pierre, des chambres cauchemardesques et des charniers, le jeune homme a compris qui sont les maîtres des lieux – des monstres. Juste des monstres.

« Tu rejoindras bientôt celui ou celle que tu cherches, petit homme. Bien sûr, cela ne sera pas rapide, cela ne sera pas agréable… mais tu rejoindras bientôt les tiens. Nous, Liktalzzz, ne sommes pas dénués d’émotion, et nous t’aiderons quand tu le demanderas. Mais avant, tu nous diras comment tu nous as trouvés, et ce que tu sais de nous – tant que tu as encore ta langue, bien sûr », murmure le Maître à quelques mètres de lui.

Allongé sur le sol, Ryumaru se sent vaincu – acculé. Vêtu simplement d’un jean et d’un pull sombre, incapable de se relever ou de parler, il sent la peur naître lentement dans son cœur. Autour de lui, les autres créatures, les autres Liktalzzz, des monstres venus d’une autre dimension, continuent de le fixer, attendant impatiemment l’heure des tortures et du festin.
Quelques gémissements de servantes et soumises, abusées par les excroissances de certains membres de la cour du Maître, rompent l’épais silence. Les odeurs de chair brûlée, de chair morte arrachent une toux âcre au jeune prisonnier, qui doit se forcer pour ne pas renvoyer le maigre repas qu’il a englouti la veille.

Ryumaru a peur – mais Ryumaru l’avait prévu.
Et il lui fait confiance.

« Oh oui, tu vas perdre ta langue, mais ce ne sera que le début. Vois-tu, nous sommes des gour… », commence le Maître avant de s’arrêter en plein discours.
Des cris, venant de quelques étages en dessous, l’ont interrompu – et ces cris ne sont pas humains. Ils ne viennent pas de leurs jouets.

Dans sa tête, Ryumaru liste toutes les blagues, toutes les piques qu’il aimerait lancer au Maître et à ses créatures, beaucoup moins à l’aise. Les deux brutes qui l’ont emmené ici s’emparent de leurs armes, et se tournent vers la bête dominante pour entendre ses ordres ; ceux-ci ne viennent qu’au bout de quelques trop longues secondes.

« Toi, descends et va voir. Toi… qui es-tu, toi ? Tu es nouveau ? », aboie le Maître en fixant de ses doigts crochus le roux ventripotent.
« C’est un infiltré qui s’est activé seul, Maître… il nous a rejoint quand son groupe a été supprimé. Il est Anglais, et il est coincé dans cette forme, mais il est OK », répond le blond d’une voix calme et sûre.
« Grumff… bien, accompagne-le, je veux savoir qui dépasse mes règles. Vous savez tous qu’ici, nous offrons la souffrance, nous ne la recevons pas », reprend-il avec un ton qui se veut confiant, mais ne parvient pas à rassurer les siens.

L’apparition d’un cercle d’énergie bordeaux, entre le Maître et ses deux serviteurs, n’arrange rien. La chute d’un Katana ancien, téléporté par ce portail, ne fait que confirmer le doute dans la cour infernale.

« Non… non… », murmure le Maître en reculant. Le portail rougeâtre disparaît soudainement, et la créature sursaute en sentant une présence dans son dos. Elle se tourne pour découvrir Ryumaru – debout, calme, souriant, libre. Plusieurs petits portails de téléportation disparaissent, emportant les chaînes millénaires.
« J’ai cru comprendre que vous appréciez la langue, et que vous vous faisiez une joie de profiter de la mienne. Laissez-moi l’occasion de vous démontrer son agilité, pour vous en donner encore plus envie », annonce le jeune homme d’une voix enjouée, en craquant lentement sa nuque.

La lourde porte de bois cède soudainement, faisant apparaître une petite bête ailée et terrorisée. « Maître ! Maître ! », hurle-t-elle. « Ils… ils sont là ! »
« Qui ? Parle ! Que se passe-t-il ? », questionne le Maître d’une voix beaucoup trop incertaine. Sa cour s’est déjà rapprochée de la sortie.
« Ils… les Sphères Unies ! Les Sphères Unies nous attaquent ! », répond la créature ailée en se posant pathétiquement sur le sol, visiblement épuisée.
« Non… non… eux… et… les portails… rouges… », murmure-t-il en baissant les yeux, tétanisé. Les autres ont également compris – il est là.
« Oh si, monsieur le Maître. Oh si », reprend Ryumaru en s’approchant du Katana, abandonné au sol, alors que ses deux geôliers le fixent avec leurs armes sans réagir, attendant des ordres qui ne viennent pas.

Plus bas, dans les douze étages de la Tour, une cinquantaine d’hommes et femmes en combinaisons sombres, recouvertes d’un symbole formé de deux sphères blanches collées ensemble, apparaissent et disparaissent grâce à des centaines de portails de téléportation bordeaux. Ils apportent la mort et le chaos.
Ces troupes, surentraînées, surmotivées, tirent, coupent, arrachent, achèvent les dizaines de créatures qui s’amusaient des souffrances de leurs jouets. Les explosions se succèdent, des cris d’effroi sont arrachés à des gorges inhumaines, et la Tour accumule les charniers – mais en charniers de créatures, maintenant.

Et plus haut, au treizième étage, le Maître hurle de rage en se tournant vers Ryumaru, un doigt vengeur pointé sur lui. « Toi ! Misérable… misérable petit humain banal ! Sale bâtard ! Crétin insignifiant et… et faible ! Tu… tu… », crie-t-il pour cacher la terreur par la colère.

« Allons, allons, monsieur le Maître… restons sérieux. Certes, je suis humain, et je ne suis pas grand. Certes, on peut me qualifier de misérable, car je ne suis pas bien riche. Certes, je suis issu de deux races, et puis être considéré comme un bâtard. Certes… où en étais-je ? Ah, oui : certes, certains me considèrent comme un crétin à cause de mon humour, mais… insignifiant ? Faible ? », énonce Ryumaru d’une voix enjouée.
« Non, monsieur le Maître », continue-t-il d’une voix soudainement plus dure, en tenant d’une main son Katana et en cherchant quelque chose dans la poche de son jean. « Je ne suis ni insignifiant, ni faible ». Il glisse alors un tissu sur son visage, soudainement protégé par un masque jaune, muni de deux petits yeux verts. « Et je ne suis définitivement pas banal. »

D’un geste ample, rapide et précis, Ryumaru, alias Drak Béryl, héros franco-japonais des Etats-Unis d’Eurasie, tranche le bras tendu du Maître, qui recule en hurlant de douleur. Un frémissement de terreur s’empare de l’assistance, mais la brute blonde réagit et s’avance pour assurer son tir et éliminer l’agresseur. Un tel crime ne doit pas rester impuni.
Deux balles sont tirées – et le grand blond s’écroule, son crâne anéanti. A ses côtés, le roux ventripotent laisse fumer le canon de son arme, et offre un sourire de connivence à Ryumaru.

« Il était temps, Charlie », réplique ce dernier en serrant son Katana et en fixant son attention sur la cour du Maître, qui s’est enfin reprise et s’approche pour leur faire payer leurs actes. « J’ai failli attendre. »
« Si tu n’as que failli attendre, j’avais donc encore tout mon temps », répond Charles Foster, une créature extradimensionnelle infiltrée dans le monde humain pour l’envahir. Placé là comme une taupe, un agent dormant, il a été activé partiellement, et bénéficie désormais des pouvoirs de son peuple, mais a conservé son esprit humain. Il rejette tout ce qui vient de sa race, est formé par l’autre et a voué sa vie à la destruction de cette Tour forgée et animée par les siens.
« Tu n’es qu’un salaud, Charlie Foster », sourit sous son masque Drak Béryl en se préparant au combat.
« Je suis leur cousin, Ryu : être un salaud, c’est un compliment pour moi », réplique-t-il en vidant son chargeur sur les créatures approchantes.

Un ballet de mort s’engage, entre une assemblée de monstres violents mais ralentis par leurs abus, et deux êtres qui ont simplement décidé de les exterminer jusqu’au dernier.
Malgré son poids, Charles Foster est plus souple, plus fort, plus agile et plus rapide que les humains normaux ; son récent entraînement auprès des Sphères Unies, une organisation secrète qui vise à annihiler la race d’envahisseurs dont il est issu, lui permet de prendre le dessus sur tous ses adversaires.
Ryumaru, Drak Béryl, use de son sabre, de sa science du combat et de ses capacités surhumaines, avec notamment un souffle de feu digne d’un dragon des Temps Anciens, pour tailler sa route dans la cour infernale. Même s’il ne le sait pas encore, il ne lui manque que peu de choses avant de devenir le sauveur que l’Univers attend – et l’heure approche.

De cette danse macabre, des massacres qui continuent dans les douze étages en dessus, le Maître ne voit rien.
Blessé, il a profité du chaos pour emprunter un passage connu de lui seul. Quelques secondes plus tard, il émerge sur le toit de la Tour… seul, mais vivant. Il sait très bien que ce n’est qu’une question de secondes avant que les Sphères Unies n’en finissent avec les siens, mais il sera déjà trop tard : il aura fui grâce à son Sort d’Echappe, et il pourra…

« Salutations, Ghj’opm », murmure une voix lente derrière lui.
« Non… non… », bredouille le Maître en se tournant vers son interlocuteur. La main crispée sur sa plaie, il découvre dans les ténèbres la silhouette qui s’approche lentement de lui. Sur ce toit escarpé, minuscule, un homme de taille moyenne, protégé du froid et de la nuit par un long imperméable marron, le fixe sous son chapeau Stetson. Avec ses lunettes noires, ses tempes grisâtres, il s’arrête à un mètre à peine du Maître, qui a définitivement perdu tout charisme et toute confiance.
« Vous avez déjà joué cette partition avec mes associés, Ghj’opm, et cela vous a coûté un membre. Je suis tout disposé à continuer dans cette voie, mais je doute que vous partagiez mon opinion », répond d’une voix trop calme l’inconnu.
« Tu… tu devrais pas… être… là… », s’abandonne ce dernier en reculant encore.
« Bien sûr que non. Et c’est exactement la raison de ma présence », réplique l’inconnu en s’avançant toujours.
« Tu… tu t’en prends… aux attaques… invasions… pas… pas nous… », couine le Maître, pathétique.
« En effet, j’ai longtemps concentré mon action sur vos activités… publiques, ou au moins visibles. Je ne me suis jamais réellement intéressé aux établissements comme le tien, ces Tours d’horreur et de torture qui vous permettent de vous implanter sur Terre. Sur toutes les Terres », annonce-t-il d’une voix toujours neutre et maîtrisée. « Cependant… les choses changent, Ghj’opm. Je change. »

Lentement, l’inconnu plonge sa main dans une poche intérieure de son imperméable, pour en sortir un dossier, qu’il ouvre devant le Maître.
« Les Liktalzzz envahissent chaque Terre, chaque monde alternatif. Vous bénéficiez de quelques portails de téléportation irréguliers dans votre dimension d’origine, l’Anté-Monde. Les forces d’invasion ont besoin de vortex importants, mais des créatures frêles comme toi peuvent se transporter par quelques passages de faible importance. Vous profitez de votre présence pour créer de tels établissements, pour recueillir les Liktalzzz infiltrés, les soldats de passage, et pour tourmenter, corrompre des humains utiles à votre cause. Je vous ai laissé longuement en paix, préférant me concentrer sur les crises conjoncturelles… et j’en ai oublié la structure même de la menace que vous tous représentez. Cela doit cesser. »

Il laisse glisser sur le toit le dossier, et les dizaines de photographies d’autres Tours dans le monde, pour reprendre sa marche vers le Maître, qui recule jusqu’à sentir le vide sous son pied – il est coincé.
« Je sais tout, Ghj’opm. Je connais les plans de vos chefs, je connais vos prochaines actions, et je ne les accepte pas. Je suis Lord Corlatius et si je n’ai pas commencé cette guerre, soyez sûr que je l’achèverai. »

Un portail de téléportation bordeaux apparaît sur sa droite, et il plonge sa main à l’intérieur. Un autre vortex apparaît juste derrière Ghj’opm, et les doigts de Lord Corlatius s’emparent de sa nuque pour le propulser juste au-dessus du vide ; seule sa poigne le maintient encore dans ce plan d’existence.

« Tu… tu… es hypocrite… tu… tu es… des nôtres… », bredouille Ghj’opm en battant les pieds dans le vide.
« Je fus des vôtres, Ghj’opm. Vous m’avez dépossédé de mon titre, de mon trône, de mon nom et de mon corps. Vous avez fait de moi un esprit, une âme errante obligée de posséder des corps innocents pour survivre. J’ai dû errer, j’ai dû me rabaisser à des actes immondes… mais je suis revenu. J’ai étudié auprès de trois Sherlock Holmes et auprès de l’Empereur Moriarty ; j’ai accompagné la victoire du dernier Khan sur l’Univers ; j’ai protégé l’héritier de l’Empire Romain, et j’ai son armée avec moi ; je suis l’ami du docteur Hine… et de tant d’autres encore.
Je l’ai dit, et je te laisse vivre pour que tu transmettes le message, cher Ghj’opm : je n’ai pas commencé cette guerre, mais il est temps que je la termine. Le Multiverse est sous ma protection… et dis bien à mon neveu que je viendrai bientôt pour lui. »

Ses doigts lâchent prise, et Ghj’opm tombe dans le vide, hurlant à la mort avant d’être happé par un vortex de téléportation qui l’emmène dans sa propre dimension.
Quelques mètres plus haut, Lord Corlatius fixe le vide, silencieux. Les bruits de combat ont cessé : ses alliés l’ont emporté, comme il l’avait prévu. Sur ce monde, sur cette planète où vit son allié Drak Béryl, qui a tenu à l’aider volontairement, il a tenu à montrer à ses ennemis, au peuple dont il faisait partie que la partie était terminée.

Depuis plus de cent années humaines, Lord Corlatius va et vient entre les dimensions, entre les mondes. De corps en corps, modifiés selon ses goûts, il lutte contre les Liktalzzz en solitaire, empêchant des invasions et des massacres, formant des unités de Sphères Unies pour accomplir ses basses œuvres – mais ça ne fonctionne pas.

Les Liktalzzz s’organisent et ont monté un plan trop important pour lui. Il ne peut plus continuer à agir seul, il ne peut plus se cacher derrière sa connaissance de l’ennemi pour apaiser son égo.
Lord Corlatius a besoin d’aide, d’alliés… et il en a.

Il est temps que l’ennemi le sache.
Il est temps que les tambours de guerre sonnent la reprise de l’Anté-Monde.


samedi 9 novembre 2013

Prose : Doctor Hine - Révolution


DOCTOR HINE

Révolution

par Maxime Saint Michel

Révolution

Chapitre 1Azéline
Paris, mai 1903.

La France. Un pays extrêmement étrange, rempli de gens chantant et sifflant leur bonheur à la face du monde pour oublier une passivité scientifique menant à une technologie véritablement archaïque, au moins par rapport à celle de l’Empire-Uni. Telles étaient les premières observations de l’homme au chapeau melon qui parcourait les ruelles de la ville depuis à peine une dizaine de minutes. Les immeubles déstructurés, les vélos et cet horrible monument visant le ciel n’étaient rien de plus qu’une preuve illustrant ses condamnations.

Mais le Docteur, grand amoureux des sciences et des raisonnements logiques se devait de remettre en cause son objectivité : il errait dans ce pays qui n’était pas le sien depuis des mois et avait toujours repoussé l’échéance, s’étant promis de ne jamais aller à Paris. D’ailleurs il avait horreur de tous les flonflons, de la valse musette et de l’accordéon. Mais sa présence ici était plus que sanitaire. L’Empire avait fait de lui tout ce qu’il ne voulait pas être : un héros, connu et apprécié de toute une population. Ainsi, même l’une des capitales qu’il détestait le plus lui semblait être un véritable sanctuaire. Au moins, il pouvait agir clandestinement, caché, complètement anonyme…

« Docteur Hine ? »

L’homme se retourna instinctivement, pour observer d’où venait cette voix affreusement aigue qui connaissait son nom, déjà la main dans la poche droite de sa veste, prêt à sortir son arme de destruction massive – réflexe qu’il tenait de la guerre des Boers et qui s’activait en cas de stress. Ses yeux restèrent bloqués une seconde sur des bottes de cuir avant qu’il ne relève la tête pour observer ce qui semblait être une femme. Il cherchait une réponse acerbe mais était incapable de prononcer le moindre mot. 

« Je suppose que oui. fit cette femme, un sourire mesquin aux lèvres, tout en caressant ses longs cheveux noirs.
- Vous devez vous tromper mademoiselle. Je m’appelle Jeffrey Rosembatch et je ne vais jamais chez le docteur. »

Haineux, Hine tourna les talons et continua sa route. C’était improbable et pourtant possible : ses exploits contre les Liktalzzz avaient traversé la Manche, en même temps que lui, prenant sans doute le bateau à vapeur, comme tout le monde. Les mains dans les poches, la tête vers le bas, les yeux protégés par son chapeau pour éviter que quelqu’un d’autre ne le repère, il essayait désespérément de trouver une ruelle où fuir, un semblant de pub où il pourrait se cacher. Il était même prêt à boire une tasse de thé. Mais il stoppa net sa marche quand un couteau vint se planter au sol, à quelques mètres de lui.

« Ne vous moquez pas de moi, Docteur. Nous savons qui vous êtes.
- Et Vous êtes définitivement obstinée. Vous voulez quoi ? Un entretien afin de déterminer pourquoi un chevalier en puissance a quitté son pays pour le votre ? »

Sur ces mots, Matthew ramassa le couteau et le relança en arrière, au hasard, sans faire un seul mouvement de tête. Les réponses à l’entretien, s’il avait lieu seraient concises : il n’avait aucune envie d’être élevé au rang de justicier, sauveur de l’Empire-Uni et sans doute du reste du monde. De plus s’il n’était pas parti, il serait sans doute devenu une arme au service de sa Majesté, ou pire : il en aurait passé son temps à en fabriquer. Pourtant, il n’aimait pas raconter des histoires courtes, et il aurait sans doute expliqué qu’Edouard VII malgré ses envies novatrices, ne pourrait apporter aucun changement à l’Empire-Uni, apparemment infaillible mais recouvert par un voile sombre, cachant les véritables problèmes. Cela étant, dans tous les cas, il n’y aurait pas d’entretien. 

« Je ne veux pas faire de vous un élément de communication, Docteur.
- Vous me suivez encore ? Mais vous êtes folle ? 
- J’ai besoin de votre aide. »

La Femme l’avait donc rattrapé. De ses yeux bruns coulaient des larmes, recouvrant son visage. Ce n’était pas de telles émotions qui allaient sensibiliser Hine. Il n’avait que faire des pleurs de jeunes filles. Mais ce courage tendant vers la témérité, à la limite de l’absurde le fascinait. Le Docteur poussa un léger soupire et se força à sourire. Il était prêt à écouter cette inconnue, à lui laisser une chance de plaider sa cause. D’un geste un peu inhabituel, il posa sa main sur son épaule, pensant que c’était ça qu’il fallait faire dans ce genre de situation, selon certaines coutumes sociales.

« Commencez par me dire votre nom.
- Azéline. » 


Chapitre 2
Azéline avançait dans les ruelles parisiennes, suivie de près par un Matthew Hine plus que sceptique. L’impression d’être en train de « foncer dans la gueule du loup » le parcourait sans qu’il ne puisse s’en défaire. Accepter de suivre une inconnue juste parce qu’elle était plus courageuse que la plupart de ses semblables était clairement une erreur, un acte stupide qu’il n’était pas censé commettre. D’ailleurs, avant ce qui s’était passé en début d’année, il n’aurait jamais fait quelque chose d’aussi illogique. Alors, c’était Charlie qui l’avait changé ? Du point de vue de ce dernier c’était le Docteur l’être inférieur mais suffisamment courageux pour qu’il fasse équipe avec lui. Mais rejeter la faute sur Foster et les Liktalzzz était beaucoup trop simple. Les évènements de janvier ne l’avaient pas changé, ne l’avaient pas rendu meilleur ou pire. Ils avaient juste réveillé sa nature profonde, celle d’un homme à part, un sociopathe préférant les faits aux sentiments, repli d’une curiosité sans limite, ne vivant que pour observer les progrès et les dérives de la science à travers le monde et peut-être un jour à travers l’univers ou même le multivers décrit par Charlie. Finalement c’était ça qui l’avait poussé à se joindre à cette femme : la curiosité, la nécessité de toujours en savoir plus. Pourtant, elle ne lui avait rien dit. Il y avait quelque chose d’autre. Quelque chose que lui-même était incapable d’expliquer sur sa propre pensée, quelque…

« On est presque arrivés. Désolée de ne pas avoir été très bavarde sur la route mais il ne fallait pas qu’on se fasse repérer. »

Prisonnier de ses propres pensées, le Docteur se contenta d’hocher la tête sans donner une quelconque réponse et se demanda depuis combien de temps il n’avait pas eu de conversation de plus de deux phrases avec une personne du sexe opposé au sien avant de réaliser que la dernière femme avec qui il avait véritablement discuté était morte. Peu de temps après lui avoir parlé d’ailleurs, mais  ça n’avait aucun lien, elle était juste vieille et malade. Même si Hine aimait imaginer  qu’il était la cause et l’effet de tout ce qui se passait dans le monde – dans une certaine mesure car l’omnipotence lui faisait peur, en plus s’il la possédait il ne serait même pas capable de croire en lui.

Enfin ils étaient arrivés à destination, du moins à en juger le pas ralentissant d’Azéline, qui s’arrêtait devant des…catacombes ?

« Vous allez m’amenez à une guilde qui va sacrifier mon corps ?
- C’est presque ça. »

Le Docteur se força à sourire et retira net toute émotion de son visage quand la jeune fille lui fit signe de passer devant. Avalant sa salive, ne pouvant s’empêcher de pousser un « gloups » d’effroi. Il lui aurait bien dit que si l’Empire-Uni perdait son meilleur soldat, les représailles envers la France seraient rudes et rapides mais d’une part il n’était pas soldat et d’autre part elle devait s’en douter. Haut les cœurs, il descendit de longs escaliers sombres, marche après marche, prenant le temps d’admirer différentes gravures représentant des mythes européens sur des parois éclairées par une torche tenue par sa compagne de fortune. L’une d’entre elle représentait un…un…un…Liktalzzz ?!

« Saint-Michel, exécutant le dragon, c’est une métaphore  de mes exploits ?
- Vous n’avez rien d’un ange, Docteur.
- Mais tout d’un archange. »

Hine resta muet, subjugué par la beauté du corps qui abritait cette troisième voix à l’accent français, venue se mêler à la conversation. Des longs cheveux blonds : c’était le seul élément qu’il pouvait décrire de façon précise. Etrangement en contraste avec cet endroit, cette femme se rapprocha des deux héros descendant la dernière marche, dévoilant une tenue…royale, qui empêcha Matthew de distinguer toutes ces autres femmes qui l’observaient, méfiantes. 

« Enchantée, Docteur. Je suis Louise IV, reine de France. »

Tout en la saluant, Matt réfléchissait aux conditions actuelles de la France, car voir un monarque féminin n’était pas une habitude ici – une autre ineptie qui avait ouvert la voie de l’archaïsme selon lui. Mais il connaissait suffisamment de choses sur les ennemis potentiels de l’Empire et sur les ennemis de ces ennemis pour savoir que c’était la Révolution Corse du début du siècle dernier qui avait amené ce changement. Les forces de la famille Bonaparte et leurs alliés avaient mis à feu et à sang le Royaume de France et de Navarre avant de tuer celui qui serait connu comme le Dernier Roi de France, bouleversant à jamais la monarchie absolue et donnant son indépendance à cette île où les Français parlaient italien. Bien sûr les détails lui paraissaient obscurs mais il n’avait pas appris tout ça dans des livres, il avait juste discuté avec des soldats d’autres armées, car des vestiges de ces  changements étaient encore présents partout.  Mais en l’occurrence ce n’était pas le plus important.

« De mon point de vue, tout ça ressemble plus à la légendaire Cour des Miracles qu’à un palais royal. »

Chapitre 3 
Le Docteur Matthew Jeffrey Hine avançait dans les plus profonds, les plus sombres, les plus lugubres bas-fonds Parisiens, seul. Ou du moins, il aurait préféré l’être, car tout ça n’était qu’apparence. En réalité, il était suivi par une armée de femmes, dangereusement surarmées, tapies dans l’ombre, chassant avec lui la Créature qui les terrorisait, qui les avait poussées à se replier dans les sous-sols. Il ne comprenait pas bien en quoi sa présence allait les aider et se doutait qu’elles en avaient après son arme, – même si le formuler de la sorte lui semblait étrange – mais encore une fois c’était la curiosité qui l’emportait sur sa logique. Ah, si seulement il avait une Force supérieure vers laquelle se tourner quand les émotions l’emportaient sur son esprit, il n’en serait pas là, à s’enfoncer dans l’un des pires endroits de l’Europe, suivi par un rassemblement lui évoquant le terrible mythe des Amazones. D’ailleurs, l’une d’entre elles s’était rapprochée de lui et lui souriait.

« Dites-moi Azéline, d’où vient cette organisation ?
- La Direction de la Surveillance du Royaume ?
- Appelez-la comme vous voulez.
- Une idée de Louise I. Des femmes surveillant l’intérieur de la France. Nos…attributs permettent des manipulations plus faciles.
- Vous me manipulez ?
- Non, mais nous sommes la seule défense face à la Créature.
- Et pourquoi, moi ?
- Votre expérience. Quand tout ça sera terminé vous pourrez partir, sans que votre nom ne soit mentionné dans nos rapports. »

Hine espérait bien que son nom ne serait pas mentionné. Une fois cette affaire résolue – s’il la résolvait – il avait intérêt à se faire oublier, quitte à changer de chapeau ou de veste, ce genre de détails sur lesquels pourraient s’appuyer des journalistes et des écrivains plus ou moins excentriques pour faire de lui une icône, infaillible, ayant toujours raison – mais ce n’est pas ce qu’il était. En effet, l’homme était loin d’être un exemple et il était encore moins un chasseur de monstres, contrairement à ce que les gens qui l’entouraient semblaient croire.

Continuant d’avancer, Matthew se mit à frissonner en entendant des grognements qui raisonnaient dans toute la ville, faisant trembler les murs des immeubles, faisant sortir des habitants dans la rue pour voir ce qui se passait. Le Docteur comprit aussitôt que définitivement….

« Vous n’avez pas besoin d’un détective consultant, n’est-ce pas ? »

Azéline ne répondit pas. Elle-même savait que la question de son « compagnon » était purement rhétorique et n’avait pas envie d’affronter ses reproches, sa haine. Même si elle était tout à fait consciente que c’était inéluctable.

Le groupe se rapprochait de l’origine des  bruits stridents et Matt observait  Azéline, incapable de détourner le regard, conscient maintenant qu’il avait saisi qu’il n’était là que pour servir de machine de guerre, qu’il pouvait partir et laisser ces dames seules, les abandonnant à leur triste sort. Il ne leur devait rien, il était un britannique, un des docteurs les plus renommés de l’Empire-Uni. Alors pourquoi restait-il ici ?

Il n’allait pas avoir le temps de répondre à cette question et y chercherait une réponse s’il survivait. En attendant une autre question lui venait à l’esprit : quelle était cette chose qui venait de passer à travers la fenêtre d’une habitation, couverte de poils, haletante, gémissante et se rapprochant dangereusement de Hine.

« Le Chien des Baskerville ?
- Non, Docteur. C’est la Bête du Gévaudan. »


Chapitre 4
Ca y est. Il était trop tard pour reculer. Hine faisait face à un être évoqué dans de nombreux faits divers et de nombreuses légendes. Apparu peu de temps avant la Révolution Corse, cette chose aurait aidé les forces de Bonaparte à raser les villes et les villages, à abattre les tours et les châteaux, à décapiter les nobles seigneurs et ducs. Beaucoup de rumeurs circulaient au sujet de cette créature, et le Docteur n’avait jamais cru à l’idée d’un animal domestiqué, mais encore moins à l’idée d’un psychopathe, étant donné l’ampleur à la fois géographique et temporelle de ses actions. C’était donc cette chose qui avait poussé la Reine et sa cour à se réfugier dans les sous-sols de Paris ? Bien, il allait au moins avoir quelque chose à étudier. Commençant par une approche en douceur de la créature, il essaya de…sympathiser :

« Alors, George. Je peux t’appeler George ? J’ai toujours pensé appeler mon chien George, si j’avais un chien. Mais encore aurait-il fallu que j’apprécie les animaux pour en avoir un. Cela dit, tu es loin d’être un chien n’est-ce pas ? Qu’es-tu réellement ? Un loup-garou ? Un canadien ? »

Comme pour répondre, la créature se rapprocha lentement de Matthew, qui tremblait à la fois de peur et d’excitation. Il était peut-être sur le point de faire la plus grande découverte de l’Histoire de l’humanité, et cette fois il pourrait l’exploiter, pas comme avec les Liktalzzz. Finalement, cette collaboration avec les services français avait des chances de s’avérer fructueuse, et il pourrait être amené à la renouveler, si la construction du tunnel sous-marin reliant son pays avec celui-ci ne prenait pas trop de temps.
A moins que…

Le loup s’écroula au sol. Il saignait. Il venait de recevoir une rafale de balles dans toutes les parties de son corps. La haine envahit soudainement Hine qui avait perdu foi en ses nouveaux compagnons aussi rapidement que cette confiance lui était venue. Machinalement son bras droit se leva et l’effort pour le retenir fut surhumain à quelques centimètres du visage d’Azéline. Il aurait dû se douter qu’il s’était fait de faux espoirs, qu’il était différent et qu’aucune de ces femmes ne pouvait le comprendre. Ce n’était que des soldats. Les mêmes que ceux avec qui il avait perpétré un génocide pendant la Guerre des Boers, les mêmes que ceux qui transformeront l’humanité en monstre, comme dans les romans d’H.G Wells – un jour ces femmes seront pires que des Liktalzzz et la solution qui semblait la plus logique était de les tuer maintenant.

« Je vous faisais confiance. lâcha-t-il, d’une voix pleine de rage à la fille qui était à ses côtés. 
- Il n’est pas mort. C’est pour ça que nous avions besoin de vous. 
- Ne comptez-pas sur moi. Ne comptez plus jamais sur moi. »

Matt avait senti du désespoir dans la voix de ce qui aurait pu être son amie mais il n’en avait que faire. Son propre chagrin venait prendre la place de la colère alors qu’il s’approchait du corps de la Bête, inerte. Se penchant vers elle, il constata qu’elle respirait toujours et un sourire se dessinait sur son visage. Ce monstre avait donc survécu. Et le plus intéressant c’était que son bras perdait ses poils rétrécissait, devenant…humain. Tout ça devenait vraiment…

« Fascinant ! Tu as survécu à…Quoi, une dizaine de balles ? Une vingtaine ? »

Tout en arrachant un morceau de la manche de son pardessus pour en faire un bandage au loup, l’homme au chapeau melon réfléchissait à ce qu’il pouvait être, à haute voix :

« La science n’est pas encore suffisamment avancée pour qu’un homme puisse en transformer un autre en loup. La magie ? »

Le Docteur marqua une pause dans son raisonnement. Il n’accordait que peu de crédits à la sorcellerie mais ce qu’il avait vu à Londres et ce qui se tenait sous ses yeux lui faisaient douter de tout ce qu’il avait appris ou croyait connaitre, en matière de sciences et de tout ce qui en découlait, de près ou de loin. La magie n’était peut-être qu’une science de plus, des algorithmes qu’il suffirait de maitriser pour que l’homme puisse manipuler le monde à sa guise.
Mais il était sur une autre piste, avec ce loup-garou. Il devait juste changer d’outil pour faire une prise de sang à l’homme-loup et continuer de le soigner. Il devait prendre ce qu’il avait dans la poche…Non. Il avait l’outil, mais il lui manquait autre chose.

Un autre coup de feu. Un autre impact de balle. En à peine une dizaine de secondes, le loup, incapable de suffoquer pour préparer ce qui allait arriver, implosa. Tout était fini. Paris n’était plus que vapeur. 

Chapitre 5
L’évolution est un principe refusé par le plus grand nombre mais admis par l’élite de la société. Les meilleurs scientifiques et philosophes de l’Empire-Uni et d’ailleurs avaient passé la deuxième moitié du dix-neuvième siècle à essayer de comprendre et de démontrer ce procédé. En effet, malgré la simplicité apparente de la chose, l’amélioration progressive d’un être humain, animal ou végétal, sur un plan physique ou mental était extrêmement complexe. Les changements dus à l’évolution, sont dans la plupart des cas définitifs, mais surtout rares et terriblement longs. A l’inverse, la révolution est un phénomène fréquent poussant l’homme d’un premier point à un second par une suite de faits liés entre eux par un raisonnement théoriquement logique, pour au final revenir au point de départ. On pourrait résumer plus simplement en expliquant qu’en évoluant, l’homme va de l’avant alors que lors d’une révolution, il tourne en rond. 

La créature qu’on appelait « la Bête du Gévaudan » était en réalité une évolution de l’humanité, un stade supérieur, à mi-chemin entre l’être humain et le loup vers lequel auraient pu se tourner l’ensemble des hommes, pouvant même développer plusieurs races d’hommes-animaux. L’homme serait à terme devenu le Mutant décrit par les biologistes adhérents aux théories de l’évolution, si tout ça c’était passé autrement. Mais la Révolution Corse, malgré ses apparentes conséquences positives comme l’accession d’une femme au pouvoir et de véritables réformes pour les conditions humaines, les Français étaient restés des animaux, des êtres ayant peur de l’inconnu et chassant ce qui les effrayait. Cela étant, la France n’était pas un cas isolé et habitants de l’Empire-Uni auraient agi de la même façon. 
Ce monde est une cause perdue.

Telles étaient les pensées sombres occupant l’esprit du Docteur Hine qui attendait passivement, assis dans une gare parisienne, le regard vide, les mains croisées, n’ayant comme compagne que la mort et le désespoir.

« Docteur, vous allez bien ? »

Encore cette voix, toujours cette voix aigüe et suscitant désormais une haine incommensurable. Matt releva la tête, regardant Azéline droit dans les yeux. Il ne savait pas ce qui le retenait de la frapper, encore et encore jusqu’à ce que la vie n’abandonne son corps, pour déclencher une nouvelle guerre de cent ans, qui durerait un peu plus longtemps mais qui s’achèverait mathématiquement sur la victoire de l’Empire. Une certaine décence sans doute. Il se contenta de répondre tout en écartant les bras :

« Je n’ai perdu aucune partie de mon corps, tout va bien. 
- Ne donnez pas dans le cynisme. »

Hine se leva, pointant du doigt ce qui était aux yeux des badauds attendant le train à vapeur, sa compagne, venue enclencher une scène de ménage. 

« Je ne suis pas cynique. Si je n’avais pas pris soin de diminuer la puissance de mon arme pour éviter que le carnage de Londres ne se reproduise, votre petite amie…
- La Reine.
- Reine ou pas, elle nous aurait tous tués. 
- Mais personne n’est mort. Vous êtes un héros. 
- Il est mort ! Le Loup est mort ! Je suis absolument tout sauf un héros. J’ai participé à un génocide. Partez, maintenant. Plus aucun humain ne m’adresse la parole aujourd’hui. 
- Vous ne vous considérez donc pas comme un humain ? »

Se rasseyant à défaut de répondre, le Docteur essayait de faire comprendre par la gestuelle à un homme situé à quelques mètres du « jeune couple » que sa « femme » était complètement folle. Evidemment, il se considérait comme un humain, le contraire aurait été ridicule, il en avait pour le moment toutes les capacités et contraintes physiques. Le problème venait du fait qu’il n’appréciait pas d’être au contact avec ses semblables. Cependant, il ne se considérait pas meilleur qu’eux, même pas intellectuellement. Il pensait juste autrement, essayant d’avoir une vue d’ensemble de chaque situation, de ne pas penser qu’à son propre confort, dans la plupart des cas. Ce qui ne le rendait pas infaillible – c’était même souvent l’inverse. Dans tous les cas, à la prochaine parole qui lui était adressée, témoins ou pas, il commettrait un meurtre.

« J’ai quitté la Direction de la Surveillance…
- Qu’est-ce que vous n’avez pas compris dans « Partez, maintenant. » ? répondit Hine de la voix la plus calme possible, tentant de masquer une rage exponentielle alors qu’il dégainait l’arme qu’il avait lui-même confectionné, doit-il s’était servi pour gagner une guerre, pour sauver Londres et qu’on lui avait emprunté sans son accord. Ses mains tremblaient, son visage était couvert de sueur. L’idée d’avoir tué une fois de plus le hantait. 
- Je suis partie Docteur, j’ai quitté mon poste, j’ai abandonné la Reine. fit Azéline, sûre d’elle malgré un léger balbutiement, se protégeant la figure avec un bras, comme si celui-ci pouvait réellement protéger son corps d’une balle qui implose à partir de la vapeur. »

Matthew  stoppa son geste et mit un temps à comprendre ce qu’elle voulait dire. Ca n’avait aucun sens. Et pourtant, pensant saisir, il laissait la haine disparaitre de son visage pour qu’un sourire puisse lentement se dessiner. Azéline quant à elle, essuyait des larmes, qu’elle voulait dissimuler. Sanglotant, elle commença :

« Je veux vous suivre dans vos aventures.
- Je ne vis pas d’aventures. Je suis un scientifique. 
- Je veux découvrir la science avec vous.
- J’étudie des sciences dangereuses. 
- Je n’ai pas peur du danger. Et si je vous laisse voyager seul vous allez encore vous faire voler votre pistolet. »

Azéline marqua une pause pour saisir le couvre-chef du britannique avant de regarder le sol.

« Chapeau melon et bottes de cuir, ça ferait un bon nom d’équipe, non ? »

Un bruit strident. Le train était là. Récupérant ce qui lui appartenait, Hine sourit suivi par sa nouvelle compagne. 

« Si. Mais pourquoi pas les Vengeurs ? »

Lui-même le savait. En ce jour, alors qu’il choisissait de travailler en équipe, d’accepter le contact quotidien d’une jeune femme, il n’évoluait pas, car personne ne change vraiment, surtout pas lui. Il entamait juste sa propre révolution. 


vendredi 8 novembre 2013

Prose : Doctor Hine - La Tour, le Fou et le Docteur


DOCTOR HINE

La Tour, le Fou et le Docteur

par Maxime Saint Michel

Chapitre I
Londres, janvier 1903.

Un homme au long manteau vert sortait d’un train, entouré de dizaines de soldats. Ils revenaient tous de l’Enfer, le sourire aux lèvres, même lui qui n’avait jamais tenu une arme de sa vie. Enfin, lui ne souriait pas, lui restait stoïque, il savait ce qui l’attendait maintenant qu’il était revenu : une réception en son honneur. Un rassemblement de bourgeois, glorifiant un massacre et la présentation des revenants à un nouveau monarque soi-disant prêt à toutes les réformes du monde, alors que lui voulait juste s’éloigner de sa patrie pour oublier ce qu’il avait vu, faire un détour par le port d’Amsterdam, y croiser des marins. De toute façon il n’irait pas à cette réception, il avait l’intention de se cacher dans un pub de la capitale et tant pis si on remarquait son absence et qu’il n’était pas nommé chevalier, il y survivrait.

Au même moment, dans un bar de Londres, étrangement propre pour un établissement où étaient censés se réunis des exclus de la société venus noyer leur chagrin, un homme à l’accoutrement quelque peu anachronique, accoudé au comptoir attirait dangereusement l’attention vers lui. Il ne faisait rien particulier, c’était à cause de l’aura qu’il dégageait, sa façon d’agir, de vérifier si son feutre était correctement en place et que sa cravate était bien nouée tout en tremblant montraient que sa place n’était pas ici. En effet, il n’était pas censé être là et il n’en avait pas particulièrement envie. Mais il le fallait. Aujourd’hui était un jour important car aujourd’hui il était chargé d’accomplir sa première mission pour le Grand Patron. Une tâche dont il était fier mais impliquant des responsabilités qui ne faisaient qu’amplifier son anxiété.

Soudain, un homme à la démarche lourde entra dans la taverne. Tous les regards se tournèrent vers lui, délaissant l’homme à la cravate qui le dévisagea, ne comprenant pas celui-ci suscitait tant d’agitation. Trainant sa veste verte, il avança lentement vers le comptoir, sans prendre le temps d’observer un quelconque client. Evidemment, il était conscient que son arrivée intriguait et fascinait tous les gens présents, à commencer par le tavernier qui était ce qui se rapprochait le plus d’un ami pour lui. Il posa son chapeau melon et choisit de briser ce silence de mort.

« Qu’est-ce qui t’arrive, Will ? On dirait que tu as vu un revenant.
- Tu n’es pas censé être au palais de Buckingham ?
- Et toi, tu n’es pas censé me servir un café ? 
- Content que la guerre n’ait pas changé tes habitudes concernant l’alcool. »

Le tenant du pub se tut et exécuta sa tâche, le sourire aux lèvres, content que ce qui pouvait s’apparenter à son client préféré soit de retour. Un peu de répartie et de prestige ne ferait pas de mal à l’établissement. L’homme à la cravate, plus que perturbé et d’une curiosité maladive, ne tarda pas à se rapprocher du nouvel arrivant et d’essayer d’engager la conversation d’un ton plus moins assuré. Ca lui permettrait de patienter avant que sa mission ne commence. D’être moins anxieux avant l’heure du premier affrontement.
« Vous…vous revenez d’une guerre ?
- L’intervention d’un Empire s’étendant sur quatre continents pour calmer les élans révolutionnaires d’un pays sous-développé, je n’appelle pas ça une guerre mais un massacre, monsieur…?
- Charles Foster.
- Parfait. Ce sera Charlie dans ce cas. Charlie, mon petit Charlie, tu n’as donc pas entendu parler de la Guerre des Boers enclenché par la Reine il y a quatre ans ? Tu es étrange.
- Je…je… 
- Allons, je plaisante. Tu dois être Français. En plus tu te permets de venir discuter avec un inconnu plus que sinistre dont tu ignores jusqu’au nom. Je m’appelle Hine. Matt Hine. Mais pour toi ce sera Docteur. »

Foster mit quelques secondes avant de pouvoir prononcer une nouvelle, le temps d’assimiler toutes les informations qui lui avaient été communiquées et de se remettre des émotions provoquées par la rencontre avec ce Docteur. Il dégageait une prestance énorme, c’était indéniable, à la fois cynique et sympathique. L’homme espérait que s’il était amené à le recroiser dans sa mission, ce serait en tant qu’allié et non en tant qu’ennemi, sinon ses chances d’avoir des problèmes étaient relativement élevées. 

Pas le temps d’en dire plus. C’était l’heure. Ca allait commencer. Il posa plusieurs billets sur le comptoir et serra la main de Hine avec ardeur.

« Eh bien Docteur, c’est un honneur de faire votre connaissance. Je dois y aller mais j’espère que nous nous reverrons. Tavernier ! Gardez la monnaie, la consommation de cet homme est pour moi. »

Ajustant une dernière fois sa cravate, Charlie sortit de la taverne et perdit peu à peu son sourire et la conscience que lui avait permis d’accumuler cet entretien. C’était imminent. Les paroles de l’homme en vert, amateur de caféine, lui avaient au moins permis d’en apprendre plus sur l’époque où il se trouvait et lui permettraient peut-être d’avoir un avantage stratégique dans le combat qu’il allait mener. Ce n’était plus qu’une question de minutes maintenant. Quelle que soit la guerre à laquelle ait fait face l’Empire-Uni, quels que soient les ennemis que le Docteur avait affronté, ni lui ni personne dans ce pays n’était prêt à ce qui allait arriver. Tout simplement parce que Charles Foster lui-même n’était pas sûr de pouvoir mener le front correctement. 
Chapitre II
Dans la nuit noire londonienne, un cercle lumineux d’un bleu profond apparut dans le ciel. Tous les regards étaient attirés par ce halo qui éclairerait la ville pendant quelques heures encore les rues de la capitale de l’Empire. Cependant personne ne prêta attention à cet homme, tombant littéralement du portail pour venir s’écraser violemment au sol…et se relever en frottant une joue légèrement rouge. Faisant craquer ses doigts et sa nuque, il souriait de la façon la plus psychédélique possible. A l’instar de Charles Foster, il savait précisément ce qui allait se passer ce soir. Ca avait commencé, sa présence en était le signe. 

Sorti de la taverne, les mains dans les poches de son long par-dessus vert, le Docteur Hine malgré l’impression de puissance et de supériorité qu’il essayait de dégager n’était rien qu’un humain, et comme tous les autres, son attention avait été captée par la lumière. Evidemment ce n’était pas forcément la même curiosité que tout le monde, c’était un intérêt purement scientifique, il se moquait complètement de la beauté du phénomène. De la lumière dans le ciel ? Une lumière artificielle ? 

« Une invention des chinois, sans doute. » murmura Matthew.

La Chine était d’ailleurs un des seuls pays que l’Empire n’avait pas encore essayé de conquérir, même si selon ses supérieurs, ça n’était plus qu’une question de temps. Cette théorie lui rappela qu’il ferait n’importe quoi pour ne pas prendre part à une nouvelle guerre, surtout pas en Asie. En revanche, les bruits de calèches et des policiers hurlant qu’il devait rester sur le bord de la route lui firent comprendre qu’il s’agissait d’autre chose qu’un divertissement venu de l’Est. 

Heureusement, il n’avait pas l’habitude de suivre les ordres…

Un quatrième coup dans la mâchoire. Une énième effusion de sang. Charles Foster était le premier arrivé sur les lieux et il était rapide. Beaucoup trop rapide pour que son adversaire ne puisse se défendre. S’il continuait à frapper avec autant de vitesse et de force, il finirait par le tuer, lui qui était pourtant tombé du ciel et en était ressorti sans une égratignure. Foster frappait pour tuer et en théorie aucun humain ne pouvait le faire.

« Tu…tu es comme moi. Mais tu n’es pas…Lui. 
- En effet, Il était trop occupé. »

L’homme du portail perdait peu à peu son souffle. Merde. Il lui suffirait d’une seule seconde de répit pour pouvoir reprendre le contrôle du combat. Tant pis, même s’il ne participait pas à la guerre, s’il n’était pas présent quand sa vengeance aurait été accompli, le plus important était que tout ça ait lieu. Cependant, il était triste en pensant qu’il avait passé ces quatre dernières années à préparer quelque chose qu’il ne pourrait jamais observer. Tant pis, son honneur restait sauve.

« AAAH ! »

Premier gémissement de Foster. L’occasion de placer un coup en traitre, dans l’entrejambe et de le pousser pour reprendre sa respiration, gagner du temps. Il souriait. Il n’avait pas encore perdu. Son visage couvert de sang commençait lentement à cicatriser tandis que ses os craquaient. Tout n’était maintenant qu’une question de calcul : attaquer, lutter contre la douleur, briser et achever le combat le plus rapidement possible. Malheureusement, il y avait une faille dans son plan :: il n’était pas la cause du gémissement. 

« Séparez-les ! Tenaient le mutant en joug ! »

En tout six policiers étaient arrivés sur les lieux pour « stopper un passage à tabac et éventuellement tenter de comprendre à quoi correspondait le halo lumineux. ». L’un d’entre eux avait tiré dans l’épaule de Charles Foster pour le calmer et deux autres l’avaient attrapé pour le retenir. Comprenant que la situation était beaucoup plus compliquée qu’elle ne devait l’être avec la régénération de l’autre type, les quatre autres l’avaient encerclé. Alors que le concept même de mutant n’était qu’une légende urbaine inventée par des adeptes de Charles Darwin, ils étaient tous persuadés d’en tenir un.

« Trouvé, Charlie. »

Foster n’y croyait pas. Cette voix, c’était celle de Hine. Il était suffisamment fou pour l’avoir suivi jusqu’ici ? Pourquoi ?

« Vous n’auriez pas dû venir, Docteur.
- Bien sûr que si, Charlie, sinon qui allait se porter garant d’un étranger , sortant d’un bar pour aller frapper un homme jusqu’au sang ?
- Pourquoi…feriez-vous ça ?
- Car je connais ta victime, petit. »
Chapitre III
Alors que le corps de la victime de Foster se recomposait lentement à travers des extensions tentaculaires, les mains de Hine et toute son âme tremblaient. Le spectacle auquel il était en train d’assister n’était tout simplement pas envisageable. Rempli d’une rage mélangée à l’effroi, il voulait saisir une arme mais il n’en avait pas la capacité. Il était tétanisé, paralysé, son esprit réfugié dans une intense réflexion était piégé dans un corps immobile. Le Docteur se remémorait des souvenirs d’avant-guerre, tandis qu’il faisait face à son égal, son rival, son meilleur ennemi. Il balbutia quelques mots, incompréhensibles, balayés par la vanité de l’autre qui allait réveiller sa répartie.

« Un commentaire à faire, Matthew ?
- Je constate que ton entrainement aux Amériques n’a pas été très bon pour ton organisme, Smith. »

Le  rire de l’home résonnait partout dans Londres. Les souvenirs qu’il partageait avec Hine ne lui faisaient plus aucun effet, plus rien d’ailleurs ne pouvait lui faire ressentir des émotions, si ce n’était l’accomplissement de sa vengeance. Pas une vengeance contre ce pathétique humain mais une vengeance qui dépassait la race humaine, et l’Empire-Uni lui-même. Ses mains devenaient des lames visqueuses se plantant dans le sol, son regard de vidait, il devenait un monstre, le miroir d’une folie qui l’habitait depuis sa naissance. 

Les policiers tentèrent une action désespérée, vidant leur chargeur. Sans effet. 

« Pour toi, Matt, c’est Lord Smith.
- Docteur ! » 

C’est en hurlant que Charles Foster se jeta sur le l’homme au manteau vert, le plaquant au sol, espérant s’être jeté suffisamment loin de son ancien ami pour esquiver ce qui allait suivre. Car lui savait. Il était en connexion indirecte avec Smith et ceux qui allaient arrivés. Et dans un élan de courage et un profond manque de réflexion il avait mis en péril la réussite de sa mission pour sauver un unique humain. Son patron n’allait pas être fier de lui quand il reviendrait…s’il revenait. 

« Je dois y voir quelque chose de personnel, Charlie ?
- Par pitié Docteur, taisez-vous. »

Hine s’exécuta, comprenant la gravité de la situation, comprenant que c’était un silence de mort qui allait régner. Et c’était l’ultime discours de Smith qui allait le déclencher :

« Stupides officiers trop zélés ! Vous auriez dû me laisser mourir aux mains d’un héros, mais vous avez choisi de me sauver….Vous y perdrez votre monde….Et vos vies ! »

Sur ces mots, la terre se mit à craqueler sous les hommes de loi qui encerclaient le monstrueux Lord. Ils étaient terrorisés et tentaient de fuir mais ils étaient retenues par une force étrange qui semblait utiliser la gravité à son avantage. Charles et le Docteur purent observer la scène, stupéfaits, essayant de retenir des cris mais poussant quand même de légers gémissements. 

Des tentacules noires et imposantes, reliées à Smith sortirent du sol et violentèrent les policiers : l’un d’entre eux fut transpercé, vidé de son sang en à peine quelques secondes, un autre finit tout simplement broyé après que la tentacule se soit enroulée autour de lui et ait appuyée suffisamment fort pour lui dissoudre les os. Les autres furent saisis par les monstrueuses parties et jetées contre des bâtiments dont il ne resterait bientôt plus que des débris. Aucun survivant, en comptant bien sûr ceux qui avaient encore la possibilité de respirer mais qui ne seraient bientôt plus que des cadavres, ensevelis sous les ruines.

Hine se releva difficilement, aidé par Foster qui l’incita à fuir. Mais il n’en fit rien. Il ne voulait pas partir, il voulait rester là pour pouvoir observer et comprendre ce qu’était réellement devenu Smith depuis la dernière fois qu’il l’avait vu, avant de partir en guerre, quand lui avait été envoyé au Nouveau Continent pour surveiller et former les troupes de l’Empire. Mais ce qui l’intriguait plus encore, c’était ce qu’étaient ces créatures qui proliféraient maintenant depuis la fente terrestre et le portail mais également quelles étaient leurs objectifs si elles en avaient. La construction d’une grande roue à cet endroit précis n’aurait sans doute pas été une bonne idée. 

« Alors c’est ça, La Guerre des Mondes ? »
Chapitre IV
« Une influence de Starcraft ? Non, Lovecraft, c’est ça ? J’ignore qui il est, je ne lis pas les contes pour enfant. Ce qui est en train d’arriver est l’exemple même de ce qu’écrit Herbert-Georges Wells. Ces créatures, c’est ce que sera l’humanité dans une cinquantaine d’années.
- Docteur, je pense qu’il n’est pas temps de débattre de littérature.
- C’est toi qui a commencé, Charlie. »

Les deux hommes couraient dans les rues de Londres. Hine ne pouvait se retenir de parler, capable d’aborder n’importe quel sujet tout en restant cohérent, pour oublier qu’il avait peur. Une dizaine de minutes s’étaient écoulées depuis la mort des policiers. Des restes humains jonchaient les trottoirs, du sang frais, noirci par des résidus de chair tapissait les murs des bâtiments. 

Les survivants fuyaient. C’était vraisemblablement le seul moyen de survivre à l’attaque de ces…choses, même si ce n’était qu’un sursis et que si personne ne tentait rien, la capitale ne serait bientôt plus qu’un amas de ruine couvert de cadavres. Matt avait cependant bien compris que rester en compagnie de Charles Foster lui assurait une certaine protection. Malgré son apparence chétive et fragile, cet homme était quelqu’un de fort, quelqu’un de brillant, presque surhumain. Il l’était d’ailleurs sûrement, car s’il n’était pas surhumain il ne prendrait pas le risque de se précipiter dans les plus sombres recoins de la plus grande et dangereuse ville de l’Empire-Uni, tout en faisant signe au Docteur de le suivre, certain que les voies qu’ils empruntaient les éloignaient des monstres. 

Mais trouver où se cacher n’allait pas tarder à devenir compliqué. Les êtres surnaturels couvraient une trop large surface et une partie d’entre eux prenait d’assaut le palais de Buckingham. Si le Roi survivait à cette folie l’Histoire se souviendrait de lui comme du premier monarque à avoir subi les changements du vingtième siècle. Il était dommage par ailleurs qu’aucun moyen de communication ne puisse retransmettre en direct les images et les sons de ce qui était en train de se passer. Le monde ne saurait que demain que Londres était tombée, que Londres était prise par ces…

« Liktalzzz. fit Foster, essoufflé.
- Comment Charlie ?
- Ces créatures. Ce sont des Liktalzzz. La pire chose qui puisse exister dans l’ensemble du Multivers, après mon patron. Ca dépasse cette ville, ça dépasse cet Empire, ça dépasse ce monde. Il faut les arrêter maintenant Docteur. 
- T’en n’as pas les moyens ? »

Charles était assis, le dos contre un mur dans une minuscule ruelle de Londres, tentant de reprendre son souffre. Bien qu’il ait conservé l’avantage tout au long de son combat contre Smith, ce dernier suivit d’une course pour sauver sa vie et celle de l’humain l’avaient épuisé. Il ignorait combien de temps il pourrait encore tenir. 

Le mur derrière lui se fissura avant de se briser complètement pour laisser apparaitre un Liktalzz. En une fraction de seconde son bras était devenue une lame qui lui servit couper en deux son assaillant. Matthew applaudit machinalement, fasciné par cette scène. 

« Je peux les tuer un par un. Mais nous n’en avons pas le temps. Il nous faudrait une arme de destruction massive. »

Le Docteur se prit la tête entre ses mains, perplexe. Si même Foster ne pouvait les arrêter alors qui le ferait ? Il avait peut-être quelque chose qui pourrait…Non, non, c’était impensable. Plus jamais il ne devait s’en servir, c’était une promesse qu’il s’était faite, trop de vies avaient été prise à cause de ça. Il devait trouver une solution rapidement avant que son compagnon ne lui meurt dans les bras. Peut-être pouvait-il rompre sa promesse ? Il n’en avait pas le droit, pour l’Empire il était devenu un monstre traité en héros et il se devait de renoncer à ce type de vie. Mais cette situation ne concernait pas l’Empire, elle concernait une entité beaucoup plus grande et beaucoup plus puissante que l’Empire seul. S’il ne survivait pas à cette nuit il ne pourrait jamais en apprendre plus sur cette entité. Il pouvait bien se salir les mains une dernière fois pour sauver sa propre vie et un milliard d’autres ainsi que sa curiosité intellectuelle. Le choix était maintenant fait. Le plan de secours concordant avec ce choix se mit en place rapidement. C’est décidé et rempli d’un espoir étrange qu’il tendit la main à Charles pour l’aider à se relever avant de lui ordonner d’une voix lourde :

« Amènes-moi en haut de Big Ben. » 
Chapitre V
Le Docteur Hine était debout en haut de la Tour de l’Horloge, surplombant Londres, la contemplant, elle et les horreurs qui la parcouraient, le sourire aux lèvres, malgré lui. Il ne pouvait pas faire abstraction de ce sentiment de puissance qui l’envahissait alors qu’il était au-dessus de tout, qu’il tenait le destin de tout un univers entre ses mains. C’était presque jouissif mais la pression était grande,  vivre ça trop souvent finirait par l’ennuyer.

Charles Foster courait, prenait dans ses bras les survivants et ordonnait à tous de se mettre à l’abri, leur expliquant qu’ils allaient être sauvés mais que le sauvetage s’avèrerait être aussi dangereux que les créatures elles-mêmes. Ce n’était pas son idée, ce n’était pas les ordres de son véritable patron mais ces détails n’avaient pour le moment plus aucune importance. Il ne savait pas si c’était sa nature humaine qui l’avait rendu comme ça ou si le Docteur et son altruisme refoulé y étaient pour quelque chose mais il voulait réellement sauver autant de vies que possible. 

La Tour était suffisamment avancée, le Cavalier pouvait maintenant attaquer pour prévenir de l’échec au Roi et mettre l’ennemi échec et mat en sacrifiant quelques pions au passage. Encore fallait-il cependant que ce Cavalier en ait le courage. 

Des images sombres et sanglantes qui hantaient encore ses nuits vinrent perturber Matthew alors qu’il sortait doucement une arme de la poche de son long pardessus vert. Il n’avait pas fait que sauver des vies en Afrique du Sud, il en avait pris énormément en testant des prototypes. Tel était le marché qu’il avait conclu avec l’Empire. Il avait aidé à remporter une guerre – à perpétrer un massacre – et il allait le refaire. Mais les choses étaient différentes, les dommages collatéraux sans être forcément plus importants allaient avoir une plus grande visibilité. Après ça, si ses compatriotes avaient un peu de sens moral, ils lui en voudraient à vie et le forceraient à s’exiler comme un héros dont on devrait taire le nom. Jamais plus il n’aurait à rendre de compte à l’Empire. S’il sauvait la capitale, il deviendrait paradoxalement un ennemi d’état, il serait enfin libre, libre comme il ne l’avait jamais été depuis sa naissance. Plus question de se demander quoi faire. 

Lentement, profitant une dernière fois de ses instants de suprématie, Matt pressa la détente de son pistolet à forme étrange, conçu pour remplacer à terme toutes les armes à distance, pour remporter toutes les guerres, s’il n’avait pas décidé que l’unique exemplaire qu’il ait fabriqué soit à lui en raison de sa violence et de son potentiel destructeur. Une seconde après qu’il ait appuyé, une balle pénétra un Liktalzzz situé à une dizaine de mètres de lui qui, comprenant qu’il était en danger, chercha à se rapprocher des siens. Il se mit à suffoquer, avant d’imploser, laissant sortir de son corps une énorme quantité de vapeur, le déchirant et emportant ses semblables et les bâtiments aux alentours. L’explosion fut massive. La vapeur se dissipa quelques minutes plus tard, ne laissant que des ruines, des cadavres de monstres et un Docteur tombant de la plus haute Tour de Londres suite au choc…

Dans sa chute, Hine continuait de sourire. Il savait qu’il avait sauvé le monde tout en prenant de l’argent à un pays qui l’avait toujours exploité. Il ne regrettait rien, même pas le fait de ne jamais avoir trouvé l’amour, ne l’ayant jamais vraiment cherché. Dans l’idéal il aurait voulu voir un peu plus de choses, observer les changements du vingtième siècle, y prendre part. Mais tant pis, ce serait au tour de quelqu’un d’autre, lui aurait juste le droit de venir hanter les mauvais scientifiques. Il espérait juste que sa création ne tomberait pas entre les mains du gouvernement quand on viendrait fouiller sa dépouille sans vie. 

Préparé à l’idée de la mort, sans la comprendre réellement, il fut surpris lorsqu’il vit cet homme au feutre et à la cravate, ayant pris beaucoup d’assurance depuis leur première rencontre, sauter pour le prendre dans ses bras et lui éviter de s’écraser lamentablement. 

« Me…Merci, Charlie.
- J’ai fait ça pour éviter de tâcher le sol, Docteur. 
- Tu as une meilleure répartie que je ne l’aurais cru.
- J’ai eu un bon entraineur. »

Ce qui surprit Hine encore plus que le Retour de Foster, c’était l’arrivée d’une foule menée par le Roi venue l’acclamer, lui, le sauveur de Londres. Soit il s’était trompé dans ses calculs, soit son arme n’avait tué aucun homme, soit il avait surestimé la morale des londoniens. La deuxième solution était la plus rassurante mais il pensait que la bonne était la troisième. Il ne pouvait pas rester ici, sous toute cette pression, il n’était pas prêt à être un héros.

« Charlie. Fuis. »

Quelques minutes plus tard, le Docteur faisait face à Charles dans son salon. Il avait préparé du café mais sentait qu’il serait le seul à en boire. 

« Et maintenant Docteur, qu’allez-vous faire ? 
- J’ai le choix. Soit je deviens un chevalier avec tout le prestige qui suit le poste et je remporte des batailles pour l’Empire tous les jours sauf les dimanches et les jours fériés, en me servant d’armes basée sur la vapeur qu’on m’aura forcé à concevoir pour toute l’armée…
- Soit ?
- Soit j’abandonne tout. Je pars en voyage en Europe, à la recherche de créatures semblables aux Liktalzzz, d’orphelins à secourir, de veuves à consoler. 
- Devenez chevalier. »

Le ton de Foster était autoritaire. Il s’était forcé à l’être, il n’avait pas le droit de laisser un humain faire son travail sans qu’il ne soit approuvé par Lui. Il se doutait cependant qu’imposer une contrainte au Docteur n’était pas le meilleur moyen de s’en faire un ami. 

« Tu te sers de moi pour assouvir tes desseins et quand je veux protéger l’univers tu me demandes de retourner à ma vie d’avant ? Tu te moques de moi ?
- Ce n’est pas moi qui le décide, Docteur. 
- Qui alors ?
- Lord Corlatius. Mon Patron. »

Un portail apparut derrière l’homme au feutre.

« Ce qui est arrivé à votre ami Smith, c’est Lord Corlatius qui en est la cause. Il pourrait vous infliger la même chose, voire pire si vous tentez de l’imiter. Pensez-y. Quand vous voudrez partir chasser des sorcières pour oublier vos propres démons  que ce nom résonne en vous comme une malédiction, une épée se balançant au-dessus de votre âme et pouvant s’abattre à tout moment : Lord Corlatius… Bonne année, Docteur. 
- Qu’il vienne ! Il ne me fait pas peur ! »

Avant même qu’il n’ait commencé sa phrase, Matthew Hine était seul dans son salon, le portail s’était refermé. Charles Foster avait soudainement baissé dans son estime mais sa rencontre avec lui et le combat contre les Liktalzzz avaient radicalement changé sa vie. Une confrontation avec Lord Corlatius était un maigre prix à payer pour pouvoir faire ce dont il avait envie. Et puis, Foster avait involontairement fait une remarque intéressante : Smith avait mystérieusement disparu avant le début des hostilités, il y avait de grandes chances qu’il soit toujours vivant…Autant dire que le Docteur Hine n’était pas prêt de retirer son chapeau melon. 

« Il parait que l’Europe est plus sympathique à visiter que l’Afrique du Sud. »