dimanche 9 juin 2019

Interviews arcadiennes : Ben Wawe

Lord Corlatius par Ismaël Ba

Et voici déjà la troisième interview arcadienne, consacrée cette fois à Ben Wawe, rédacteur-en-chef adjoint de Forgotten Generation présent depuis 2012 dans nos rangs.



















-Tout d'abord, bonjour, Ben Wawe. Peux-tu te présenter brièvement pour les milliards de malheureux qui ne te connaissent pas encore ?

Bonjour à tous.
Je suis Ben Wawe, et j'écume Internet avec ce pseudonyme depuis une bonne quinzaine d'années. Je me suis baladé sur beaucoup de forums comics (Le Royaume de Donovan, Buzz Comics, Comics Sanctuary) ou encore de forums Jeux-De-Rôle. Je suis actuellement contributeur auprès du site Top Comics ( https://topcomics.fr/ ), pour des articles, critiques et avis sur l'actualité comics, ou des points plus précis.
J'ai tenu pendant 3-4 ans un forum de fan-fictions, ces récits de fans pour les fans ; la spécificité est qu'il s'agissait d'une « réinvention » des personnages Marvel et DC. Une reprise des noms, pouvoirs et engagements, mais une modification du reste (origines, évolutions, etc.). On a eu un Matt Murdock qui devient Daredevil car un démon (Oni) est caché dans un masque japonais qu'il vole, et lui donne des pouvoirs ; Spider-Man est l'élu du dieu amérindien de la justice. Galactus est un virus informatique. Les Fantastic Four sont des délinquants, et bien d'autres. L'élément rigolo est qu'on a appelé ça Urban Comics, car les fan-fictions étaient dans un univers street, urbain... sans lien avec l'éditeur français, donc. Oh, et pour information, l'extraordinaire SteF y a commencé !
J'ai ensuite tenu deux blogs de nouvelles, et j'ai participé à plusieurs versions de recueils de nouvelles d'un forum, Buzz Comics. Les Plumes de Buzz étaient centrés sur des thèmes en particulier, comme le Steampunk, l'horreur, etc. C'était cool.
Ma plus grande fierté demeure d'avoir participé au recueil Haiyan, disponible à la vente ( https://www.thebookedition.com/fr/haiyan-p-106346.html ). De nombreux auteurs ont écrit sur le typhon qui a frappé les Philippines en 2013, et tous les fonds récoltés ont été versés aux associations venues en aide. Je suis très ému, si longtemps après, d'y repenser. D'avoir pu aider, au moins un peu, avec mon petit talent, me touche.
Enfin, je collabore depuis 6 ans à Arcadia Graphic Studio, dans le magazine Forgotten Generation mais également le hors-série Apocalypse Please. J'y ai édité et fait évoluer mon héros, Lord Corlatius, et je reprends désormais le personnage de Black Terror, créé en 1941 dans Exciting Comics #9 et libre de droits. J'ai également le statut de rédacteur en chef adjoint du magazine Forgotten Generation.

-Maintenant, parle-nous de ton parcours. Qu'est-ce qui t'a mené à la BD ?

Mes parents, la lecture et... la télévision.
Mes parents, parce qu'ils ont toujours aimé et collectionné les BD. J'ai grandi avec Tintin, Pierre Tombal, Spirou... mais aussi Les Passagers du Vent, Les Compagnons du Crépuscule, Les Chemins de Malefosse, Les Sept Vies de l’Épervier. J'avais accès à leur bibliothèque, et je dévorais tout. Ça m'a appris le plaisir de découvrir la BD, qui allie la finesse de l'écriture à la puissance des images.



La lecture, ensuite. J'ai toujours beaucoup lu, également tout ce qui me passait sous la main. J'ai dévoré la majorité des romans jeunesse de mon époque, puis les polars...et la science-fiction. Ma famille n'a jamais été trop versée dedans, mais je suis tombé dans ce genre – et je n'en suis jamais sorti. Et il se marie extrêmement bien avec les images.

Enfin, la télévision. Car je suis né en 1987, et j'ai eu la chance de grandir avec, en programmes télévisés pour la jeunesse, les séries animées Batman / Superman, l'ange de Metropolis / Justice League, mais aussi X-Men et Spider-Man (et leurs génériques eux aussi mythiques), et les plus confidentielles Iron Man, Fantastic Four et Hulk. Ces contacts avec les super-héros m'ont marqué plus que tout autre chose ; la passion pour ces personnages, pour ce genre de héros, est née et n'est jamais partie.


La transition avec la lecture des BD qui ont inspiré ces séries a été fluide, et facile ; et définitive, surtout. Mon premier comics fut un Nova, le n°195, mais j'ai « vraiment » commencé avec un magazine Fantastic Four, période Heroes Reborn ; le n°5. En 1998, je crois. Je n'ai pas arrêté d'acheter des comics, chaque mois, depuis. Depuis 21 ans, donc ! On ne rajeunit pas.

-Quelles sont tes passions, ainsi que tes goûts en matière de BD, films, musique, séries ?

La lecture demeure une grande passion. Comme beaucoup, le cinéma et les séries me plaisent beaucoup, mais... oui, la lecture. Les romans, les BD, les comics ; ça demeure ma passion principale. En fait, je crois que ce sont surtout les histoires, ma passion. Que ça soit sous forme de livre, de court ou long-métrage, ou même de récit audio... ce qui m'importe, ce qui m'intéresse, ce qui me plaît et ce qui m'anime, ce sont les histoires.
Les histoires, c'est à mon sens le cœur de tout ; le cœur de nos vies. Les gens adorent les histoires, ils en ont besoin pour vivre. Pour s'échapper du quotidien, pour penser à autre chose, pour s'imaginer autrement... pour avancer. Pour rêver.
Les histoires cimentent nos vies, et sont au cœur de nous tous ; en tout cas, au cœur de moi. J'adore les histoires, que ça soit les lire ou les raconter. Créer, inventer une histoire, c'est extraordinaire – et être lu aussi. Intéresser quelqu'un, l'emmener ailleurs par ce qu'on fait, ce qu'on produit... c'est merveilleux, vraiment. Ça nous élève, en tout cas ça m'élève. Franchement, qu'y a-t-il de mieux que d'amuser, émouvoir ou inspirer autrui ? C'est ce qui nous fonde, justifie nos existences.
« We are all stories, in the end. Just make it a good one », dit la série TV Doctor Who. Je valide. Et j'espère autant en raconter de bonnes... qu'en vivre une, aussi. Ce qui est bien, bien plus difficile que d'en créer une, d'ailleurs.

Oh, et pour revenir à la question... je le redis, je suis fan de science-fiction. J'ai peu de goût pour l'heroic-fantasy, ou les genres associés ; je suis plus robot que elfe, pour simplifier. Le genre ne m'emporte pas, je n'y arrive pas. La SF m'éclate plus ; imaginer un futur, proche ou non, me transporte. Cela se ressent dans mes goûts, avec notamment une longue période où je ne lisais QUE Philip K. Dick (dont le meilleur récit n'est PAS Blade Runner, qui n'est pas le vrai titre de l'oeuvre, mais plutôt Ubik).

Mon auteur favori demeure le malheureusement méconnu Norman Spinrad, merveilleux et terrible auteur d'uchronies terrifiantes (notamment Rêve de Fer, sur la folie nazie ; ou Le Printemps russe, sur la conquête spatiale et la construction européenne).

En matière de BD, je suis un fan absolu de Warren Ellis, un auteur irrégulier mais dont les thèmes de prédilection me touchent toujours. Son récit Royal Space Force, une uchronie où le Royaume-Uni récupère les savants nazis à la place des Américains et lance une conquête spatiale plus intense, est sûrement le titre qui m'emporte le plus, qui correspond à mes thèmes et aspirations. Planetary, sur des archéologues du surnaturel et des conspirations, est une ode à la culture populaire qui me transporte toujours. Et Transmetropolitan est un brûlot social et politique, un cri de rage qui annonçait et annonce beaucoup encore ; parfait pour une fureur adolescente.



Bien entendu, j'apprécie grandement l'auteur Alan Moore, le plus grand auteur de comics de tous les temps ; mais je n'adhère plus à ses récents travaux. M'enfin, comment ne pas admirer par sa « trilogie parfaite » ? Watchmen a changé les comics mais est surtout l'oeuvre ultime du médium, From Hell est d'une profondeur rare, et V for Vendetta est une gifle que je reprends à chaque fois.

En séries TV, je suis plus irrégulier et infidèle, je « m'attache » peu... mais je demeure fan de Doctor Who, dont les thématiques me parlent toujours. Gros coup de cœur récent pour Penny Dreadful, malgré une fin maladroite.
En films, je suis client de ce que fait Christopher Nolan, mais... plus ses films « annexes » que sa trilogie Batman, que j'aime beaucoup, mais je préfère Interstellar, Le Prestige et surtout Inception, que je considère comme l'un des tous meilleurs films de science-fiction, littéralement parfait et puissant.
Et en musique... je suis fan de metal et de hard-rock « à l'ancienne ». Je peux citer AC/DC, Metallica, System of a Down, Linkin Park, Offspring, actuellement Imagine Dragons fait des trucs gentils mais sympas... je ne connais pas bien les genres, et je tourne souvent sur les mêmes titres.

-Ont-elles une influence sur tes BD ?

Complètement.
Mon personnage de Lord Corlatius est une entité psychique qui saute de corps en corps, possédant des anonymes. Il va et vient entre les mondes parallèles, pour lutter contre les Liktalzzz, un peuple de monstres qui veulent détruire toute vie. Le lien avec Doctor Who est évident, mais j'ai étendu ses aventures à divers principes de science-fiction.
La reprise de Black Terror n'est pas anodine non plus. Forgotten Generation a une tradition pour reprendre des personnages de l'Âge d'Or des comics, mais... Black Terror est différent. Son look fait penser à une fusion du Punisher et de Batman, mais il y a plus de Superman, en fait. Le pharmacien timide devient Black Terror après avoir eu des pouvoirs, mais garde une identité civile de « lâche ». Il devient vraiment lui-même sous son masque, pour des principes super-héroïques classiques mais efficaces. Mon projet est de raconter les histoires de « plusieurs » Black Terror, au fil de l'Histoire ; ça va bien m'amuser, et sûrement se rapprocher des thématiques de Planetary.

-Quelle a été ta première BD ?

Ma première BD publiée a été dans dans Ganesha #1 à l'automne 2011. Il s'agit d'une édition de l'association 92 Bulles, montée également sur Buzz Comics. J'y ai publié L'homme monstre, qui est le « brouillon » de Lord Corlatius ; ce n'était franchement pas brillant.
A suivi ensuite Forgotten Generation V1 #3, en juillet 2013. Les Origines de Lord Corlatius, avec le formidable Bruce Cherin. Avec le début de tout.


-Pourquoi avoir créé Lord Corlatius ? D'où t'est venue cette idée ?

Je ne vais pas mentir : l'inspiration initiale de Lord Corlatius est Doctor Who, mais j'ai réussi à m'en détacher ; m'enfin, les liens demeurent. J'ai même rédigé, pour le fun, une rencontre entre les deux personnages.


Sinon, je voulais tout simplement un personnage orienté « science-fiction », avec un caractère difficile, et une position « grise ». Je lisais à l'époque Neverwhere de Neil Gaiman, et j'ai été passionné par le Marquis de Carabas, si digne et charismatique, mais si étrange... et tendancieux. Le « Lord » est venu du « Marquis », et « Corlatius » est une construction mentale rapide.
Pour simplifier, je voulais un personnage trouble, avec beaucoup de mystère, et une aura étrange et « mystique » autour de lui. J'espère avoir réussi.

Pour la reprise de Black Terror, l'idée est venue d'un brainstorming avec Florian, président, et Maxime, rédacteur en chef. La volonté était d'avoir une nouvelle icône pour Arcadia, mais de respecter également l'ADN de l'association... la reprise d'un personnage de l'Âge d'Or est devenue une évidence. Black Terror s'est ensuite imposé, pour son aura, sa popularité... et le défi de le réinventer, tout simplement.

J'ai envie de construire toute une chronologie, une Histoire de Black Terror sur plusieurs personnages. J'ai toujours été passionné par le principe d'héritage, notamment chez les super-héros ; j'aime quand l'apprenti prend la place du mentor, etc. Je vais essayer de travailler là-dessus, pour créer une sorte de... mythologie personnelle du super-héroïsme, sur plusieurs générations. Sacré défi.



-T'inspires-tu de gens que tu connais ?

Non, heureusement ! Mes personnages sont rarement sains d'esprit.

-As-tu d'autres projets artistiques réalisés ou sur le point de l'être, BD ou non ?

La reprise de Black Terror m'occupe beaucoup ! Nous avons plusieurs projets, notamment des nouvelles illustrées, des BD... mais aussi la transposition de Forgotten Generation sur plusieurs médias. C'est passionnant.
En parallèle, je rédige de nombreux articles pour Top Comics, ce qui est très plaisant et chronophage. Passionnant également.
J'ai donc mis les nouvelles de côté ; mais c'est un cycle. Ça reviendra !


-Attention, grande question : si on te proposait de reprendre une série actuelle en BD (qu'importe l'origine), laquelle choisirais-tu ?

Question terriblement difficile pour un fan depuis 21 ans. Mon premier réflexe serait Batman... parce que j'adore le personnage, parce que je me reconnais dans beaucoup d'éléments, parce qu'il est une icône et que je suis complètement fan. Mais non. Je pense que ça serait la fausse bonne idée : à être trop attaché, trop ancré dans un personnage, on en vient à... ne pas créer, en fait ; mais reproduire ce qu'on a aimé. Ce n'est donc pas très intéressant.
Si je pouvais reprendre une série, je reprendrais Fantastic Four. Parce que l'équipe a été mes « préférés » du début de mes lectures comics. Parce que j'aime beaucoup les personnages, mais je ne suis pas un fan « hardcore ». Et parce qu'ils ont été stoppés un temps par Marvel, car ils ne vendaient pas... et la relance actuelle n'est pas très bonne. Il y a tout à reconstruire sur eux, alors. Avec une continuité extrêmement riche, l'aura de la « First Family of Marvel », mais une vraie possibilité de relancer le titre et des personnages que certains considèrent has-been.


Ce serait un défi grisant... mais aussi parce que ces personnages sont fondamentalement positifs, aventureux, alors que ce ne sont pas forcément des traits de personnalité qui sont les miens. Les écrire serait donc un « effort », mais ça justifierait que je m'applique au maximum pour créer leurs aventures ; et il est donc très probable que je réalise des meilleures choses, qu'en me cantonnant à ce que je connais et lis tous les mois.

-Même question, mais avec une série disparue.

Difficile à dire. Souvent, les séries disparues sont des séries terminées... et je trouve regrettable de relancer des séries terminées.

Je dirais cependant Global Frequency, de Warren Ellis. Une série basée sur le principe d'un épisode / un dessinateur différent / un thème différent / un groupe de personnages différents... tous sous l'autorité de Miranda Zero. Qui a créé une organisation mondiale, avec des spécialistes dans chaque domaine qui peuvent être appelés en cas de crise qui les concerne. Une véritable série anthologique, avec un potentiel extraordinaire de diversité et de folie créative. Le titre aurait dû devenir une série TV, mais ça n'est jamais arrivé... dommage.
J'adore le principe du changement d'orientation, la possibilité de changer de propos et de thème à chaque numéro ; c'est passionnant, et fun.


-De quelle manière t'y prendrais-tu ?

Pour Fantastic Four, je souhaiterais revenir aux bases, à l'esprit d'aventure. Je souhaiterais garder l'idée que les enfants aient grandi, et je souhaiterais les faire avancer en âge au fil de la série. Mais surtout... de l'aventure, de l'aventure, de l'aventure. Longtemps, la série Fantastic Four a été un chaudron de créations, de concepts qui ont forgé l'univers Marvel. Les Inhumains, Adam Warlock, Black Panther, Galactus, Molecule Man, la Zone Négative, l'Enclave... tout cela vient des Fantastic Four ! Et j'aimerais reproduire le même dynamisme créatif, en multipliant les concepts, les idées, les nouveautés.
Mais, pour commencer dur et direct, je plongerais les F.F. au cœur d'une autre dimension, perdus et sans aide... hormis eux-mêmes. Pour se concentrer sur les personnages, leurs interactions ; leurs magies.
Bien entendu, cela peut rappeler des choses que d'autres auteurs ont déjà faits – mais créer n'implique pas de ne pas s'inspirer.

Enfin, pour Global Frequency, je reproduirais la formule de Warren Ellis ; parce qu'elle m'amuse et me donne envie de la reprendre. Voilà !

-Quel serait ton crossover rêvé, aussi improbable soit-il ?

Largo Winch VS Tony Stark.

-Y a-t-il des choses qui t'agacent dans la BD en général ?

Les tics d'écriture ou les « modes », qui sont trop souvent reprises, copiées et utilisées jusqu'à ce que les lecteurs n'en puissent plus. En fait, c'est moins un problème d'auteurs que des éditeurs, des décideurs qui veulent absolument recréer des grands succès. Cette course au « buzz » est fondamentalement fatigante... d'autant que ça ne fonctionne quasiment jamais. Lassant.

-As-tu d'autres projets, même fantaisistes, que tu aimerais mener à bien ?

J'ai commencé il y a longtemps un recueil de nouvelles, de science-fiction puis de steampunk. J'aimerais le terminer avant mes 40 ans.
Sinon, une web-série Forgotten Generation, même « cheap », ça serait quand même cool !

- Question subsidiaire : un dernier mot ?

Merci. Merci à ceux qui ont lu, survolé ou juste cliqué ici. Merci à Florian d'avoir fondé Forgotten Generation. Merci à Maxime de m'y avoir amené. Merci aux lecteurs de nous faire continuer. Merci à mes proches, pour me supporter. Merci à ma femme, pour tout ce qu'elle est et ce qu'elle m'apporte.
Et merci à vous, qui avez un peu d'intérêt pour nous ; c'est peu, pour vous, mais beaucoup, pour nous.