lundi 23 décembre 2013

Prose : Tales of Lord Corlatius - Le Fort des Liktalzzz

TALES OF LORD CORLATIUS

Le Fort des Liktalzzz

par Maxime Saint Michel

Une. Deux. Trois. Quatre. Cinq. Six. Sept…Quatorze. Les gouttes de condensation tombaient du plafond en rythme, venant s’écraser sur mon chapeau melon, perturbant ma réflexion sur le milieu qui m’entourait. Si tant est bien sûr qu’il y eut un milieu à étudier. Je faisais face, littéralement, à la stupidité de deux soi-disant soldats qui réfléchissaient à un moyen de sortir de cette prison tout en causant un maximum de dégâts. Vraisemblablement ils n’avaient pas compris que c’était le point de départ d’un plan qui les dépassait – et j’étais forcé de constater que même loin de chez moi, à plus d’un univers, je devais assister impuissant au déroulement de la Comédie Humaine. 

« Qu’est-ce qu’on fait, Aleks ? demanda le premier. 
- Je ne sais pas, Oliver. La solution la plus simple et rapide serait de faire imploser cette dimension. fit froidement le second. »

Je serais incapable de décrire physiquement ces deux personnages, même si la lueur dans les yeux bleus de cet Oliver dès que son collègue lui parlait m’avait marqué, tant elle montrait lequel des deux hommes avait le pouvoir sur l’autre. Cela étant, je me souviens avec une précision déconcertante du sentiment que j’ai eu à l’égard d’Aleks, qui me revient au moment où j’écris ces lignes, et des mots qui montèrent jusqu’à ma bouche sans en sortir, interrompus par la pression d’une main sur la mienne, me faisant machinalement sourire et me tourner vers Elle.

« Calmez-vous, Docteur. m’avait-elle lâché. »

Azéline. Je ne dirais pas que cette Femme m’avait rendu meilleur ou pire que ce que je n’étais. L’Homme n’est jamais objectif sur sa propre évolution. Mais une chose était sûre, elle m’avait changé. Je n’étais plus le même depuis la Révolution de Paris. Ca faisait six mois que je voyageais avec Elle. Entre temps, il y avait eu la Guerre de Berlin, une visite de l’Empire Autrichien, et tant d’autres choses…Nous nous apprêtions à prendre le train à vapeur pour Rome, quand devant nous est apparue cette étrange lueur bleue. J’ai tout de suite su en la voyant ce qui allait en sortir, et les conséquences que j’allais devoir affronter. Avant même qu’il n’en sorte je savais que cet homme, qui se tenait maintenant au milieu de la pièce, ajustant sa cravate, vérifiant que son Stetson était bien en place, était venu me chercher.

Ses paroles résonnent encore dans ma tête, comme elles résonnaient entre les quatre murs de cette prison : 

« On m’avait dit que vous étiez moins discret, Hine. J’espère que ce n’est pas parce que votre petite amie est venue avec vous, sinon la prochaine fois je vous emmènerais sans elle, on fera une tournée des pubs avant d’assister à la Fin du Monde. Enfin bref. Nos noms sont tous associés à des génocides. C’est pourquoi je vous ai recrutés tous les quatre. Pour que chacun puisse faire ce qui est nécessaire, s’il s’agit de la dernière option. Mais la mort, n’est pas une victoire. La mort d’un allié comme d’un ennemi reste une défaite. Je ne veux plus de la Mort comme compagne : à force de vivre à ses côtés, j’ai failli devenir comme elle – vide de tout. Alors, aussi fou que ça puisse paraitre, ce soir, nous sauvons les Liktalzzz ! »

Concluant son discours, il claqua des doigts, déclenchant l’explosion de la paroi derrière lui. Son corps, dos aux flammes brillait. Je restais figé quelques secondes, l’admirant. Sa prestance était exactement celle que je m’étais imaginée, celle que Charlie m’avait décrite avant que je ne quitte Londres. Aucun doute n’était possible, ce n’était pas un imposteur, c’était définitivement Lord Corlatius.

En à peine quelques secondes nous étions dehors. Nous les cinq étrangers à cette Terre venus y commettre un acte de guerre, courrions à travers les rues d’une ville dévastée – Leeds, si ce que nous avait dit notre patron était exact, mais je ne veux pas y croire de toute façon –, ne pouvant même pas s’arrêter pour se recueillir devant les ruines, surplombées par une gigantesque roue, vers laquelle nous nous dirigions, car nous avions déclenché l’Alerte Violette.

Dire que j’avais peur serait mentir, j’étais terrorisé. Ma main avait saisi celle d’Azéline, et mes jambes avançaient toutes seules, suivant l’homme au Stetson. Le reste est assez flou. Il y avait des rugissements, des hurlements, des bras monstrueux passant devant nous et que nous devions esquiver. Je n’en étais pas sûr à ce moment-là mais il me semblait avoir vu sur ces choses, un genre d’armure aux couleurs excentriques. Ce n’était pas comme l’invasion de Londres, c’était pire. Mais j’aurais pu m’en rendre compte bien avant : Corlatius ne se déplace que lorsque la situation est désespérée.

Et elle me le parut encore plus lorsque l’un des deux soldats qui m’avaient exaspéré tenta de me faire la conversation. Je ne lui en veux pas, j’imagine que tous les êtres humains normalement constitués font ça, face à la peur de mourir. Parler est un moyen de penser à autre chose, d’évacuer la souffrance, même si c’est à un homme qui aurait pu vous tuer de chagrin quelques minutes plus tôt. Quoiqu’en disant qu’il était normalement constitué, je m’avance peut-être un peu…

« Vous l’avez connu comment, Lord Corlatius ?
- Il est venu me chercher, il y a à peine deux heures. Mais je connais un de ses amis.
- Drak Béryl ?
- Non. Foster. Charles Foster.
- Nous aussi on l’a rencontré, à Budapest, avec Oliver… »

La discussion – qui pourtant démarrait bien, finalement – se stoppa net au moment où un cri se fit entendre à quelques centimètres de nous. Cette partie de la mission reste gravée dans ma mémoire et le restera jusqu’à ma mort. Aleks dont la voix tremblait d’admiration et dont les yeux pétillaient à la simple évocation du nom de Corlatius, s’est retourné et a perdu toute émotion de son visage. Il me fallut un temps pour oser l’imiter, mais je m’attendais à ce que j’allais voir : le cadavre déchiqueté de son compagnon, Oliver. J’aimerais dire que j’ai ressenti de l’empathie, mais il connaissait les risques et je ne l’aimais pas. Le seul sentiment qui me soit venu sur le moment était la joie : au moins ce n’était pas moi. Mais comparé à la réaction du Lord, ça ressemblait presque à de la compassion.

« La mort d’Oliver Campbell est regrettable. Il aurait dû faire plus attention. Tu le pleureras quand ce sera fini. Si tu ne le rejoins pas. »

Surpris et choqué de ses paroles froides à un homme qui venait de perdre son ami, je ne compris qu’après-coup que vivre dans la tête de l’homme au Stetson devait être horrible. Au vu de toutes les aventures qu’il avait traversées, s’il devait s’attarder sur tous les morts qu’il laissait derrière lui, il n’arriverait plus à dormir, et il pourrait même faire un livre complet, contenant les noms des victimes qu’il n’avait pas pu sauver.

Aleks l’a regardé, plein de haine. Il ne croyait plus en celui qui l’avait recruté, il avait perdu la foi. Mais les soldats, les bons soldats, continuent leur mission quelques soient leurs convictions – il était de ceux-là. Et il savait de toute façon que s’il n’allait pas jusqu’au bout de ce pourquoi on l’avait recruté, il ne rentrerait pas chez lui.
Silencieusement, comme lors d’une marche funèbre notre groupe se remit en route, s’approchant de la roue, symbole de notre funeste destin.

Après avoir esquivé d’autres monstres, traversé d’autres ruines, nous étions enfin arrivé devant l’Edifice, gardé par l’Armée Impériale, composée de ces créatures – Les Liktalzzz. Des frissons parcoururent une première fois mon corps. Je ne comprenais pas ce qui se passait. Ils portaient des armures, issues d’un temps différent du mien. Ils étaient chevauchés par des êtres humains, affublés des mêmes accessoires. Une nouvelle fois je tremblais en me rendant compte que le Lord était tétanisé. Je le connaissais depuis moins d’une demi-journée, mais je savais déjà que pour le voir en proie à la peur, c’était grave. Il balbutia quelque chose, comme :

« C’est…C’est impossible. On ne peut pas. Personne ne peut faire ça. »

Puis, il secoua la tête, pour se donner du courage et avança vers un de ces Gardes, reprenant de l’assurance au fur et à mesure qu’il s’en rapprochait. Il était impressionnant, égal à lui-même. Malgré sa stupeur, il dégageait une impression de puissance que jalouseraient les plus grands Seigneurs de Guerre.
J’étais aux premières loges pour assister à une joute verbale titanesque, il ne manquait plus qu’une tasse de café.

« Je suis Lord Corlatius, vainqueur de l’Incident de Dublin, assassin du Roi Marcheur de Ciel.
- Je sais qui vous êtes.
- Alors, vous savez que vous devriez m’amener à votre chef.
- Vous l’avez devant vous.
- Je ne veux pas parler à un pantin. Je veux m’entretenir avec l’Empereur en personne.
- L’Imperator ne reçoit que les visiteurs les plus braves.
- Et briser le Pacte, vous classez ça comment ? »

Tous les Gardes se figèrent. Sans un mot de plus, ils nous laissèrent passer, ouvrant une trappe située sous la roue pour nous donner accès à une étrange cabine, qui descendit pendant de longues minutes. . Un instant je regardais Azéline qui semblait aller bien, même si elle était un peu secouée par ce qui venait de se passer. Mais elle ne répondrait sans doute pas à la question qui me turlupinait :

« Pourquoi aucun de ces gardes ne nous escortent ?
- Ils n’en ont pas besoin lâcha le Lord, perplexe. L’Empereur est partout. »

Les portes de la cabine s’ouvrirent, nous donnant accès aux sous-sols de Leeds, ou plutôt à un palais luxuriant situé sous la ville – Azéline me fit doucement la remarque qu’il valait mieux vivre dans les égouts qu’à la surface. Je pensais que l’omniprésence de l’Empereur était une métaphore en voyant tous ces portraits, toutes ces statues représentants un homme portant la même armure que celle des chevaliers, avec une cape, symbole de puissance, qui ornaient la pièce Mais c’était beaucoup plus littéral.

Je ne sais pas si je dois l’écrire ou non dans ce journal qui ne sera peut-être d’ici quelques années plus qu’un conte pour enfants, ou au mieux un feuilleton distribué gratuitement à toute la population grâce à un moyen technique que je connaitrais jamais, à défaut d’être un recueil d’essais scientifiques. Mais toujours est-il j’ai eu la sensation de retrouver quelque chose de familier à la vision de cet homme, juché sur son trône. Mais c’est peut-être à cause des multiples représentations de sa personne, ou la fatigue jouant des tours à mon esprit.
Encore une fois, le dialogue fut musclé.
« C’est donc vous, le Cyber-Imperator ?
- Sir Corlatius. Mes serviteurs m’ont beaucoup parlé de vous. Je suis déçu, je vous imaginais plus perspicace.

La voix de l’homme était saccadée, extrêmement sombre et désagréable, presque robotique. Le Lord quant à lui n’était plus animé par la peur, mais par la rage.

- Oh mais je suis perspicace, je voulais juste m’assurer que ma fureur passerait bien sur la bonne personne. Mais de toute façon, quelle que soit la personne à qui je m’adresserais, c’est à vous que je parlerais, n’est-ce pas ?

Ne comprenant pas, j’ai préféré ne pas l’interrompre.

- Je ne vous suis pas, Sir Corlatius.
- Ne m’appelez pas Sir, ce n’est pas mon titre. Je suis Lord. Et je sais qu’il est impossible de contrôler les Liktalzzz, j’ai essayé, encore et encore. Même vos soldats et vos jolies armures n’en sont pas capables – séparément. Levez-vous de votre siège ! »

Dans un sourire psychédélique, l’Empereur exécuta l’ordre de Corlatius, dévoilant des câbles, connectés à toutes ses extrémités, reliés à son trône. Je commençais à comprendre l’aspect littéral de ce que m’avait dit mon ami au Stetson, à bord de la cabine. .

« Vous…vous implantez votre esprit dans des armures, que vous faites revêtir à vos sujets, et aux Liktalzzz. Vous êtes partout. »

Azéline s’est effondrée dans mes bras. Cette révélation l’avait choquée. Et je dois avouer que moi aussi.
Notre ennemi ne nia pas les explications du Lord. Il n’avait pas un mauvais fond, il était juste soucieux du bien-être de son univers et quelque peu avide de pouvoirs, comme nous tous, j’imagine.

« J’ai fait ce qu’il fallait, avec les moyens que j’avais. J’ai agi pour le bien-être de mon peuple. Personne n’est venu d’une autre dimension pour repousser ces envahisseurs. Mais je ne vous en veux pas, Lord Corlatius. Contrairement à moi, vous ne pouvez pas être partout. Vous pouvez juste faire ce que vous estimez le plus juste, au moment de votre arrivée.
- Je pourrais vous tuer. La déconnexion de votre esprit libérera tous ces gens de votre entreprise.
- Mais également les Liktalzzz. Et il n’y aurait plus personne à sauver.

J’avais pris la parole, saisissant pleinement la situation à laquelle nous faisions face, au choix que nous allions devoir faire, à ce pourquoi Corlatius était venu me chercher. Il était fier de moi. Je ne l’ai pas vu sourire, car on ne sourit pas lors d’un conseil de guerre, mais j’ai senti sa fierté me traverser. Ou je cherchais à m’en persuader. L’autre me regarda avec dédain, ne jugeant pas mon esprit suffisamment égal au sien pour me permettre de m’adresser à lui, puis il fit :

- Si toi et tes amis n’avaient pas le courage de me « débrancher », ou que vous comprenez mon choix, vous pouvez encore rentrer chez vous et ne plus jamais revernir, me laissant marcher seul parmi les extensions de moi-même. Bien qu’il existe une troisième solution, j’ai cru comprendre que vous tu étais en guerre. »

Personne n’eut le temps de répondre. Une balle vint pénétrer lentement le crâne du Cyber-Imperator. Pour éviter d’heurter la sensibilité des jeunes âmes qui pourrait lire ce livre, et plus simplement car il n’est pas nécessaire de décrire un assassinat pour se rendre compte de son horreur, je n’écrirais rien de plus sur cette scène. J’avouerais juste avoir eu l’impression que le temps s’était ralenti Et que ce n’est que lorsque les câbles se débranchèrent et que le corps de l’Empereur finit par se fracasser sur le sol que tout se déroula de nouveau à vitesse normale.
Aleks se tenait devant nous, derrière le cadavre, un pistolet à la main, toujours le visage absent de la moindre émotion, laissant cependant couler quelques larmes le long de sa peau.

« Il avait tué Oliver. »

Corlatius avait disparu, nous laissant tous les trois, seuls avec le cadavre, dans un silence pesant. Aleks ne bougeait pas, à plusieurs reprise je me suis demandé s’il respirait toujours. Azéline n’a pas arrêté de me demander s’il était parti sans nous, car il nous trouvait indignes de sa puissance, de sa présence. Je ne voulais pas y croire, ne pas écouter ce genre de discours absurdes et défaitistes. L’homme qui était venu me chercher, qui sans le vouloir m’avait poussé à partir à la recherche de créatures surnaturelles ne pouvait pas faire ça – il était meilleur que ça. J’ai commencé ce journal, pour m’isoler, pour garder Espoir.

Et au bout de quelques heures, le Lord était de retour, transmettant toute sa haine et toute sa tristesse à Aleks, en un simple regard. Poussant un long soupire, il nous expliqua la situation. Il n’en avait pas besoin, j’avais parfaitement saisit, rien qu’en le voyant : nous avions perdu. Les Liktalzzz et les Hommes avaient retrouvé leurs esprits, puis les Liktalzzz avaient dévoré leurs cavaliers, trop fous pour s’éloigner. Il restait encore des humains, libres, environ un quatorzième de la population mondiale. Mais ils ne tiendraient pas. Corlatius avait essayé de négocier avec le chef de ces créatures leur départ, pour les avoir sauvé, mais ils se savaient en position de force. La seule chose que lui accordaient ces monstres était la possibilité de fuir.

Ouvrant un premier portail, voyant que je prenais des notes, l’homme au Stetson me demanda de noter avec précisions tout ce qu’il allait dire.

« Aleksander Fonia. Un de mes amis est mort récemment, parce que j’ai laissé agir librement une personne comme toi, emplie du désir de vengeance. Je ne ferais plus cette erreur, et tant pis si je deviens ton ennemi. Je te destitue de tes fonctions. Tuer n’était pas ici l’ultime option, et ton geste a plongé ce monde dans l’obscurité. Tu ne devras plus me chercher ou entrer en contact avec un de mes alliés. Ta dernière mission en tant que membre des Sphères Unies sera de prévenir Oliver Campbell Junior. Il est orphelin, maintenant. »

Le soldat marmonna quelque chose d’incompréhensible et passa e portail. Avalant ma salive, j’avais peur d’avoir droit au même traitement. La lumière bleue disparut, une nouvelle fit son apparition.

« Hine, je referais sûrement appel à vous, à l’avenir. Vous avez été brillant. Je suis désolé que ça se soit terminé ainsi.
- Moi aussi. Mais dites, moi, quelle était la troisième option ? »

J’avais laissé passer Azéline devant. Ma question était rhétorique. J’étais persuadé de connaitre la réponse. Je voulais juste connaitre la réaction de celui que je considérais comme mon mentor plutôt qu’une réelle affirmation. Il fronça les sourcils, je compris qu’il n’aurait de toute façon pas choisi cette possibilité mais qu’aucune n’était juste.

Me reculant, prêt à partir, je regardais tout en disparaissant. Nous avions sauvé les Liktalzzz, la mission en soit était une réussite, mais nous avions perdu une bataille. Cela étant, la guerre ne faisait que commencer. Et les jours étaient comptés, car Lord Corlatius userait de tous les moyens nécessaires pour reprendre le Fort des Liktalzzz. Avant de complètement partir, je l’entendis murmurer :

« Il était comme moi. »

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