Alors oui, premier concours, une échéance courte, ça n'a pas entraîné une participation massive, mais au vu de ce que nous avons reçu, c'est quand même encourageant !
Nous avons donc reçu quatre dessins et une colossale participation écrite sous forme de nouvelle. Quand je dis colossale, c'est que le fichier fait 11 pages ! Et comme les participations sont toutes de qualité et qu'il nous est difficile de choisir deux personnes à éliminer, nous avons décrété que chacun serait récompensé !
Nous publierons donc tout ça dans Forgotten Generation 5 que chacun recevra à sa sortie, et nous solliciterons tous les talents que vous voyez dans nos publications prochaines, soit sur des histoires de Forgotten Monsters, soit sur d'autres.
Félicitations et encore bravo à nos cinq valeureux candidats !
Die Letzte en démone par Andy Lu |
Ewen Merrick Zombie, par Alexandre Lavaur |
Black Terror en mort-vivant par Olivier Pranlong |
Ewen Merrick en loup-garou par Yannick "Alcybiade" Biret |
Petit avertissement concernant cette longue nouvelle basée sur les personnages de World Justice : il s'agit d'une interprétation basée sur les informations disponibles en ligne et dans l'épisode 0, qui ne représentent qu'une infime partie de la saga que prépare Sophie Rumo.
Le
Lilamazone
par Malvina Cordonnier
Elle était sur la route
depuis des jours. Heureusement, elle se trouvait toujours sur ses
terres, elle pouvait s'y aventurer les yeux fermés, elle s'y
retrouverait.
Elle se sentait tellement
libre dans son royaume, alors elle ne savait pas à quoi s'attendre
dans le monde des Hommes, sur leurs terres qu'on disait étrangères,
différentes de la sienne. Mais elle avait confiance en Abaris.
C'était un homme de raison. Et bien plus expérimenté qu'elle. Il
l'avait visité, le monde des Hommes, lui.
Il lui avait confié quelque
temps auparavant qu'être la première amazone à mettre un pied en
territoire civilisé ne ferait qu'ajouter de la crédibilité à son
image de guerrière. Elle serait plus respectée que jamais elle ne
l'aurait été en restant sur ses terres. Abaris lui avait prédit
qu'elle serait amenée à faire de grandes choses, qu'elle devait
voir plus loin que le bout de sa forêt.
Alors la voici, pratiquement à
la frontière entre deux mondes. Il lui restait un cours d'eau à
franchir pour atteindre son but. C'était un fleuve très fréquenté,
il y flottait d'étranges habitations... Des gens semblaient vivre
là-dedans, mais cela ne ressemblait pas à des maisons.
Des caisses s'empilaient et
débordaient de poissons multicolores... Sophicia ressentit une peine
immense pour ces créatures incapables de se défendre, condamnées à
être les victimes de la cruauté humaine.
Elle se dit ensuite, que pour
sa sécurité, il valait mieux qu'elle se cache dans les fourrés, à
l'abri des regards. Ce serait sûrement dangereux pour elle et même
pour ses sœurs de se montrer aux yeux du monde. Elles vivaient
recluses, en plein cœur de la forêt, à l'écart de toutes
civilisations, là où personne ne pourrait les mettre en danger.
Elle s'accroupit donc dans un bosquet et attendit que ce soit plus
calme, avant de traverser à la nage le fleuve. Elle observa
silencieusement les pêcheurs. Ils parlaient fort et avaient des
rires gras. Soudainement, sans que Sophicia ne comprenne pourquoi,
deux pêcheurs se sautèrent dessus et s'assenèrent des coups de
poings aussi violents les uns que les autres. Les autres pêcheurs ne
bougeaient pas. Ils se contentaient de regarder la scène, une
cigarette au coin des lèvres. Sophicia fut consternée par la
situation, mais elle ne fut pas au bout de ses surprises quand, aussi
brutalement que ce fut possible, l'un des protagonistes se saisit
d'un couteau et le planta dans la carotide de l'autre. Les vêtements
de la victime et le sol ont été instantanément recouverts d'une
mare sanglante. Quant au pauvre pêcheur, il avait viré au rouge. Le
coup avait été si puissant et si profond que la lame avait tranché
les chairs qui pendaient, sanguinolentes. La carotide malmenée
s'était transformée en geyser, un véritable volcan en éruption.
Sophicia ferma les yeux et
essaya de chasser de son esprit ces images qui lui donnaient des
haut-le-cœur.
En les ouvrant, ils avaient
disparu. Personne. Pas un signe de vie, pas une preuve que ces hommes
étaient là, devant elle, pas même des tâches de sang !
Sophicia se dit que c'était à
cause du stress ou de la fatigue, elle se mettait à imaginer des
choses ! Ce voyage en terre humaine l'affectait plus que ce qu'elle
pensait. Elle se donna du courage et traversa enfin le fleuve. Il n'y
avait pas de courant, elle se retrouva donc de l'autre côté en deux
temps, trois mouvements.
Elle traversa un bois où elle
découvrit des espèces végétales qu'elles ne connaissait pas. Des
fleurs aux couleurs étonnantes, qui détonaient avec la verdure
alentour. Une, en particulier, attira son attention. Sa tête était
ronde, et ses pétales étaient un sublime mélange de lilas et de
rose pâle. Cette fleur avait un côté inoffensif et innocent. Elle
semblait appeler Sophicia, et celle-ci était subjuguée par la
petite plante. Elle s'en approcha, et inspira profondément le
délicieux parfum qui s'en dégageait.
À partir de ce moment-là, il
fallait qu'elle la cueille et la goûte. Elle ne savait pas pourquoi,
mais ça l'obsédait. Elle cueillit donc la fleur, la mit avec une
grande précaution dans sa sacoche en peau d'animal, et se mit en
quête d'un peu d'eau pour faire une tisane. Non loin, elle tomba
miraculeusement sur un petit ruisseau, préleva un peu d'eau dans une
coupelle qu'elle avait pris soin d'emporter avant son départ. Elle
se dégota un petit coin tranquille à l'orée d'une clairière, pour
faire un feu. L'eau devait être suffisamment chaude pour profiter du
goût de la fleur et de ses propriétés. Évidemment, faire le feu
ne lui prit que dix minutes, et encore. Elle mit seulement un peu de
temps pour trouver les matériaux dont elle avait besoin. Quelques
minutes passèrent, pendant lesquelles les pétales infusaient l'eau.
Ils flottaient dans ce micro océan enfermé dans un récipient de
bois, et semblaient danser sous les yeux de Sophicia. Comme une
parade amoureuse, dans le but de la séduire. Ses iris noisettes se
perdaient dans le lilas.
Au bout d'un temps qui parut
infiniment long, elle souleva la coupelle et porta le liquide parfumé
à ses lèvres. Une douce mais forte sensation lui parcourut l'échine
comme une caresse, le goût de la fleur était indescriptible. À la
fois doux et corsé, avec une touche d'amertume, elle se sentait
légère, et capable de tout. Une impression naissait en elle :
que son destin était de traverser ce bois, de trouver cette fleur,
de la goûter.
Elle se sentait différente.
Elle était différente. Se rappelant pour quelle raison elle était
ici, elle poursuivit son chemin, finissant par arriver à l'entrée
d'une jungle de béton, peuplée par des insectes faits de tôles et
de plastiques. Elle eut, la seconde suivante, comme un flash. Elle se
trouvait au même endroit, mais la situation était différente. Elle
assistait au déclin de la civilisation. Elle voyait des gens qui
hurlaient en passant devant elle, mais elle était comme invisible et
indifférente à ce qui se passait. C'était comme si elle était
dans l'action, tout en la regardant de loin. Les gens avaient peur;
ils pleuraient, étaient blessés, ou choqués, les vêtements abîmés
ou souillés par la poussière et la terre. Elle leva les yeux et vit
des boules de feu tomber du ciel, et s'écraser sur les insectes
géants, les embrasant, sur les habitations, les faisant exploser en
milles morceaux qui volaient çà et là, déchiquetant au passage
des membres, heurtant violemment des têtes, qui au final, ne
ressemblaient plus à des têtes, mais à un tas d'os et de bouillie
cérébrale, qui nourriraient la terre pour faire éclore une vie
nouvelle. Des gens étaient prisonniers des flammes, ils brûlaient,
leur peau fondait, leurs viscères s'étalaient sur le sol, mais ils
parlaient toujours ! Sophicia entendait leurs voix qui appelaient à
l'aide, qui suppliaient pour que ça s'arrête. Les voix étaient
tellement nombreuses, et tellement bruyantes, qu'elle dut se couvrir
les oreilles de ses mains pour ne plus les entendre. Brusquement, ça
s'est stoppé. Et elle était revenue à la frontière, au bord de
cette jungle urbaine encore debout sur ses fondations. Sophicia ne
comprenait pas ce qui venait de se passer, elle n'en avait pas la
moindre idée... Ça paraissait réel, elle avait ressenti la
souffrance de tous ces inconnus, elle avait entendu leurs voix...
Elle supposa que c'était depuis qu'elle avait goûté la fleur
inconnue qu'elle pouvait les distinguer aussi nettement... Elle
sentait que la fleur avait quelque chose de mystique, d'étrange,
mais ça ne l'avait pas effrayée pourtant. Elle n'avait pas peur,
pour elle c'était un don des dieux. Il l'avait choisie, elle, simple
guerrière amazone qui quittait pour la première fois sa terre. Elle
devait honorer ce don, et l'utiliser pour faire le bien. Venir en
aide aux bonnes voix, et ignorer les mauvaises.
Elle s'avança dans ce dédale
de blocs, regardant partout autour d'elle. Elle croisa des gens, des
enfants, des adultes, habillés de façon très étrange. Ils
portaient des déguisements plus effrayants les uns que les autres.
Des sorcières, des fantômes, des monstres difformes, des créatures
dont on ne savait pas à quoi elles ressemblent tellement elles sont
hideuses, qui n'ont leur place que dans des contes destinés à faire
peur aux enfants turbulents, aussi des choses similaires à des êtres
humains mais en plus baveux, avec un air maladif permanent,
agressifs, et ayant tendance à dévorer de la viande crue et très
fraîche.
Certains avaient des
déguisements colorés ou à l'effigie de bonnes entités, comme des
princesses, avec de longues robes qui brillaient de mille feux, des
petites fées, leur paire d'ailes et leur baguette, des nymphes, ces
adorables créatures des forêts, et de tout petits hommes qui lui
arrivaient à la taille.
Sophicia ne connaissait pas
cette fête et ne savait pas non plus quelles divinités ils devaient
célébrer, il y en avait tellement de représentées !
Elle n'était pas à son aise,
ne savait pas où se mettre, même si ces adorateurs ne lui prêtaient
guère attention. Elle était déguisée, parmi tant d'autres. Et les
voix commençaient à revenir, mais différemment. Elle entendait les
pensées des individus qu'elle croisait. Son don était plus étendu
que ce qu'elle croyait. Mais ce qu'elle entendait lui faisait dresser
les poils de la nuque. Elle entendait des choses blasphématoires,
des formules comme « des offrandes ou un sort », des
invocations d'esprits faites par des inconnus au visage masqué, se
promenant avec des machettes, des couteaux, d'autres outils maculés
de sang... Ils parlaient de morts, de sacrifices, de sang versé...
Elle voulut s'éloigner de ces voix, mais elles la suivaient... À
l'écart, se pensant à l'abri, elle vit plusieurs dévots former un
cercle. Au milieu de ce cercle, un grand feu dansait la gigue. Tous
portaient une longue robe noire qui leur tombait bas sur les
chevilles. Ils étaient masqués, et Sophicia ne parvenait pas à
distinguer leurs yeux. Ils entouraient le feu. À même le sol, à
côté de ce dernier, se trouvait un être miniature fait de chiffons
et de vêtements. Le petit être miniature était couvert de longues
tiges fines et pointues sur les bouts. Du sang sortait de chaque
orifice créé par ces tiges mortelles.
Des voix bien plus
inquiétantes que les autres s'élevèrent de ce groupe, comme une
litanie maléfique... Des mots, surtout, qui lui donnaient froid dans
le dos.
« Tuer... innocent...
un coeur pur... brûlé par les flammes du Mal... »
Sophicia aurait voulu bouger
pour s'enfuir, cependant elle était tétanisée, ses jambes
refusaient de lui obéir. Elle n'aimait pas ce qu'elle voyait, elle
n'aimait pas se trouver dans le monde des Hommes, elle était
horrifiée par ce qu'elle découvrait. Elle n'était pas au bout de
ses peines. Un personnage s'était avancé au centre du cercle, et
s'était positionné à côté du feu. De sous sa robe, il sortit un
linge et le montra à l'assemblée. Des bruits montèrent des gorges.
Ils appréciaient ce qu'ils voyaient. Mais des plaintes bientôt
vinrent du linge. Des bruits caractéristiques d'un bébé. Sophicia
se liquéfia.
« Ils ne vont tout de
même pas.. ? » murmura-t-elle pour elle-même.
Elle ne voulait faire aucun
bruit pour ne pas attirer leur attention. La dernière chose qu'elle
souhaitait, c'était de finir dans les flammes de l'Enfer. Le
personnage à côté du cercle leva très haut le linge pour que
toute l'assemblée puisse bien voir, et d'une main, il ajusta le bout
de tissu de façon à ce qu'on voie la tête du nourrisson
apparaître. Il était en pleurs, se demandant où il était, qui ils
étaient et où était passée sa maman…
C'en était trop pour
Sophicia. Elle fit demi-tour et se mit à courir en direction de là
où elle était arrivée. Malgré sa bonne volonté, elle ne put
ignorer les hurlements de douleur de l'enfant. Ses beuglements
cessèrent très vite, pour laisser place à un silence morbide.
« Ils l'ont fait, pensa-t-elle, ils ont jeté ce pauvre bébé
au feu ! ». Ces monstres étaient dépourvus d'âme... ils
l'avaient vendue au Diable !
Elle en voulut à Abaris de
lui avoir mis cette stupide idée en tête ! Pour rien au monde, pas
même la puissance ni la réputation, elle ne perdrait son âme, ses
valeurs et son bon cœur dans ce monde vil et infect.
En chemin, elle croisa bon
nombre de fous qui hurlaient la résurrection de l'esprit du mal et
qui lui souriaient bizarrement, un peu menaçants.
« Mes sœurs, mais où
suis-je tombée...? Ce monde est horrible, rongé par le mal. J'ai
même vu sa fin... Je veux retourner sur mes terres et retrouver les
miens... Je veux oublier ce que je vois ici, ce qu'ils font... »
Elles passaient leur vie à
vouer un culte à de bonnes divinités, à ne pas vivre dans le
péché, à œuvrer pour le bien. Elles respectaient la nature, et
mangeaient juste ce qui leur permettaient de rester debout. Hors de
question de tuer des animaux pour jouer ou gaspiller la nourriture.
Leurs vêtements et accessoires faits de peaux animales étaient
prélevés sur des animaux déjà morts.
Tandis qu'elle franchissait
pour la deuxième fois la frontière, aussi discrètement que la
première fois, pour s'enfoncer dans les bois, elle songea à la
chance qu'elle avait de vivre dans un havre de paix, qui lui manquait
terriblement.
La lumière du jour avait
fortement baissé, nous étions au crépuscule. Déjà, les nuances
orangées du ciel au coucher du soleil se faisaient dévorer par
l'obscurité de la nuit. Le jour mourait, comme la vertu en ce
bas-monde. Sophicia n'eut pourtant pas de mal à marcher dans une
obscurité qui gagnait du terrain. Au fur et à mesure qu'elle
progressait, les voix provenant du monde des Hommes s'atténuaient
pour disparaître. Bientôt remplacées par d'autres. Des voix que
Sophicia ne connaissait que trop bien…
«Sophicia, ma sœur,
pardonne-nous de ne pas avoir pu nous défendre contre l'ennemi »
; « Ma sœur, je prie pour qu'il se passe un miracle, pour que
tu viennes nous délivrer de ton bien-aimé » ; « Méfie-toi
de lui, princesse, il n'est pas si bon, il est le mal en personne, il
est mauvais »
Sophicia, qui sentit son cœur
battre à tout rompre, avait peur de comprendre. Elle entendait les
pensées de ses sœurs, mais certaines finissaient par s'éteindre,
et elle ne les entendait plus... ses sœurs souffraient, elles
avaient mal, physiquement, et son compagnon y était pour quelque
chose. Si c'était bien ce qu'elle croyait, son bien-aimé avait
profité de son absence pour attaquer les siens. Les amazones ne
s'étaient pas méfiées, elles connaissaient Abaris, enfin pensaient
le connaître.
Pourquoi aurait-il fait ça ?
Cela n'avait pas de sens ! Lui qui s'était engagé à étendre le
territoire des amazones, qui les avait aidées à protéger leurs
terres, et à améliorer leur quotidien, et qui partageait la vie de
Sophicia depuis tout ce temps... Était-ce
un double jeu depuis le début ? Ne l'avait-il séduite que par
intérêt ? Qu'attendait-il d'elle ? Quelles étaient ses intentions
? Travaillait-il pour quelqu'un ?
Toutes ces questions
trottaient dans la tête de Sophicia pendant qu'elle courait le plus
vite que pouvait le lui permettre ses jambes. Il lui semblait qu'elle
courait beaucoup plus vite qu'avant, et que son endurance s'était
considérablement améliorée. Elle voyait du coin de l’œil les
arbres défiler en une ligne sombre ininterrompue. Elle survolait
presque le sol, tant sa vitesse était surnaturelle.
Elle avait mis cinq jours à
l'aller, et devait se surpasser pour ne mettre qu'une journée au
retour. Elle avait pensé faire un détour pour demander de l'aide à
une tribu qui vivait non loin d'elle, mais la réputation d'Abaris
avait traversé les forêts, les plaines et les montagnes avant lui.
Il était réputé l'un des guerriers les plus fort et les plus
impitoyables qui soit. Et ses hommes étaient entraînés à faire la
guerre. Personne n'aimerait l'avoir comme ennemi. Elle devait donc
s'attendre à combattre seule, et c'est ce qu'elle ferait. C'était à
elle de mener ce combat.
Plus elle approchait, plus
elle sentait l'adrénaline monter en elle. Abaris ne s'attendrait pas
à la voir revenir si tôt, elle aurait donc l'effet de surprise.
Elle finit enfin par arriver
à proximité de son camp. Elle se cacha pour observer ce qui se
passait. Elle entendait toujours les voix, des voix qui suppliaient
l'ennemi de mettre un terme à leur douleur, de les laisser partir.
Elle imaginait Abaris refuser d'abréger leur souffrance, il
chercherait à continuer à faire mal, à lire l'agonie sur le visage
de ses prisonnières. Ça le conforterait dans son ego de mâle... Il
était bien connu pour faire durer le supplice jusqu'à ce que ses
victimes le supplient de les achever pour être enfin en paix.
C'était un monstre, comme ceux qu'elle avait vus dans le monde des
Hommes. Et les monstres n'avaient pas leur place ici dans cette
forêt.
Abaris avait fait appel à ses
troupes. Ils étaient là, en train de démolir ce que Sophicia et
les amazones avaient mis tant de temps à construire. Ils
saccageaient les huttes, y mettaient le feu une fois dérobé ce qui
avait de la valeur et attachaient les guerrières encore en vie à un
tronc d'arbre. Les malheureuses étaient fouettées à sang, frappées
à coups de bâton, brûlées par des barres métalliques qui
dormaient dans un feu.
Une bouffée de haine monta en
Sophicia. Elle allait les venger. Elle ressentit soudain une gêne,
et baissa les yeux sur ses mains qui lui démangeaient. Elle
s'aperçut que des aiguillons, des dards venimeux, lui étaient
poussé sur le dos des mains. Elle ne se demanda pas comment c'était
arrivé là, elle n'avait pas le temps. Elle y réfléchirait plus
tard. Bien qu'elle pensât à la plante. Mais sur le moment, elle
était juste ravie d'avoir une arme qui ferait la différence. En
observant l'arsenal de son ennemi, elle vit qu'ils possédaient ces
espèces d'armes à feu dont elle avait tant entendu parler.
Seulement, elles étaient longues à recharger. Ils devaient mettre
de la poudre dans la gueule, enfoncer une tige dedans pour tasser, et
ensuite y mettre la balle. Le temps qu'ils rechargent, elle pouvait
les attaquer, c'était ça son ouverture.
Il y avait des soldats en
retrait du camp, postés là pour surveiller les alentours, et
l'arrivée éventuelle de Sophicia. Elle devait se concentrer malgré
les plaintes de ses sœurs, qu'elle n'entendait plus dans sa tête,
puisqu'elle les voyait de ses propres yeux. Visuellement, c'était
compliqué à gérer de voir les tortures, c'était la première fois
qu'elle voyait les amazones en difficulté, elles qui habituellement
menaient sur tous les fronts quand elles devaient se défendre.
Sophicia se demandait par quel
guerrier commencer. Le plus proche d'elle était trop près du camp,
donc mauvaise idée de l'attaquer, il ameuterait les autres. Elle
changea de cap et se déplaçait en s'accroupissant dans les hautes
herbes. Elle était juste derrière un guerrier en retrait par
rapport aux autres. Il était un peu éloigné du camp, elle pouvait
toujours tenter sa chance. Se servir de ses dards auraient été
envisageables si elle avait été face à lui, pour mieux viser le
cœur. Mais là, voler l'arme de poing de son adversaire, c'était
jouable. Le guerrier tenait son fusil dans les mains, mais il avait
un couteau bien affûté accroché à l'arrière de sa ceinture.
Sophicia resta calme, respira lentement et approcha doucement la
main. Elle regardait régulièrement si quelqu'un rappliquait ou
l'avait repérée, sauf que pour le moment, elle était passée
incognito. Parfait, pour l'instant, ça se passait comme sur des
roulettes.
Elle réussit à se saisir du
couteau sans que son propriétaire s'en rende compte, l'empoigna
bien, se releva. La lame du couteau luit dans la pénombre et le
soldat n'eut pas le temps de se retourner qu'il se retrouva la gorge
tranchée. Sophicia l'ouvrit d'une oreille à l'autre. Le sang gicla,
se projeta sur les troncs d'arbres pour les recouvrir, telle une
toile. Elle couvrit la bouche du mourant, appuya fortement et
l'accompagna lorsqu'il s'écroula au sol. Elle prit soin de le cacher
dans de grandes fougères, sachant que c'était provisoire, que tôt
ou tard, ses compagnons finiraient par tomber dessus. Elle prit
également le fusil, chargé, et emporta quelques minutions. Ça
pourrait servir, sait-on jamais.
Elle se faufila jusqu'au
prochain garde. Il était assis sur un gros rondin de bois et
somnolait. « Malheureux, tu vas regretter de t'être endormi
quand je t'expédierai faire une sieste éternelle ». Sophicia
s'avança jusqu'à lui, pour lui faire subir le même sort que son
comparse. Au moment où elle passait juste à côté de lui, il émit
un grognement sourd et eut un sursaut. Elle s'immobilisa et retint sa
respiration. Ouf, fausse alerte. Il s'était bel et bien endormi.
Sophicia le regarda quelques secondes avant de lever le bras, et de
presque littéralement le décapiter. Elle lui sectionna les cordes
vocales. Sentir la lame le transpercer l'avait réveillé en sursaut,
mais il n'eut pas le temps de voir qui l'avait agressé, déjà sa
vue se brouillait, et il suffoquait. Il ne pouvait prononcer aucun
mot, il était coincé dans un mutisme qui mourait avec lui. Il tenta
vainement de tendre le bras pour attraper Sophicia, mais il retomba
mollement sur son flanc, et ce fut le deuxième à rendre son dernier
soupir.
Tout comme le premier, elle
cacha le corps et les armes pour ne laisser aucune trace. Elle se
camoufla derrière un rocher pour observer ses ennemis. Il restait
trois hommes de main, et Abaris lui-même, toujours occupé à
violenter les amazones. Et là, ça commençait à être plus
compliqué. Deux des hommes étaient l'un à côté de l'autre à
l'entrée du camp, et se délectaient du spectacle que leur offrait
leur chef. Le troisième était en train de fouiller une hutte et
sortait quand il trouvait quelque chose d'intéressant. Abaris
malmenait les guerrières ligotées devant la hutte de Sophicia.
C'était tellement symbolique vu sous cet angle... Elle tendit
l'oreille pour essayer de percevoir des bribes de conversation.
« Où il est ? »
demanda lentement Abaris à la plus jeune des amazones. Il l'avait
saisie par les cheveux et les empoignait fermement, clairement
décidé à les arracher un par un pour obtenir une réponse.
La pauvre amazone, Cléridis,
pleurait à chaudes larmes et ne semblait pas comprendre de quoi il
parlait.
« Je.. je ne sais
pas... », hoquetait-elle de terreur, la voix à moitié
étouffée par des sanglots. « Je ne vois pas... ce que... ce
que vous cherchez... pitié, relâchez-nous... »
Abaris la fixa avec mépris.
Il la lâcha, elle tomba par terre. Sophicia crut déceler un infime
soulagement sur son visage. Soulagement qui fut de courte durée.
Abaris vint se placer derrière elle, positionna ses mains de chaque
côté de sa tête, et lui tordit le cou. Un coup sec et bref,
retentissant dans cette forêt silencieuse. Sophicia ferma encore les
yeux, secoua tristement la tête. En les rouvrant, une larme
s'échappa de son œil droit et glissa sur sa joue. C'était toujours
douloureux de voir mourir ceux à qui on tenait. Elle ne méritait
pas de mourir, pas maintenant, pas de la sorte. Abaris serait sa
dernière cible. Sophicia l'avait décidé ainsi.
Elle allait d'abord
s'attaquer aux deux qui se postaient à l'entrée. Mais elle allait
devoir se mettre en hauteur pour ça. Dans le cas où elle parvenait
à toucher une cible, même les deux, Abaris et le troisième homme
seraient aussitôt informés qu'il y avait un intrus. À terre, ses
chances de survie n'était pas nulles, mais avec un individu de la
trempe de Abaris, mieux valait jouer la prudence. Si le coup venait
d'en haut, ils ne s'en apercevraient pas tout de suite et
chercheraient dans les bosquets qui était l'auteur de la tentative
de meurtre.
Sophicia choisit donc un arbre
à mi-chemin des hommes, dans l'ombre pour lui conférer une plus
grande liberté de mouvements. Elle alla ramper jusqu'à lui, et
grimpa le tronc. Elle avait toujours été douée pour l'escalade,
savait comment se placer et où mettre ses pieds. Seulement quand
elle s'entraînait, c'était pour le plaisir, ce n'était pas une
question de vie ou de mort. De ce fait, ça avait un impact direct
sur sa montée, qui se faisait plus nerveuse, plus crispée. Ils ne
faisaient pas attention à ce qui se passait alentour de toute
manière, ils avaient baissé leurs gardes, distraits par la violence
et la monstruosité en personne.
Sophicia continua de grimper
jusqu'à arriver à la cime de l'arbre. Les branches étaient très
épaisses et solides, elles pouvaient se mouvoir dessus sans crainte.
Elle s'installa, mais dans sa
précipitation, secoua une branche qui fit tomber quelques feuilles.
L'une des guerrières amazones s'en rendit compte, leva discrètement
les yeux, les plissa légèrement et aperçut Sophicia qui lui
faisait un signe de la main, puis mit son index devant sa bouche
fermée, indiquant qu'elle devait rester tranquille et faire comme si
elle n'avait rien vu.
Elle vérifia que le fusil
était bien chargé, puis le mit en joue, visant l'un des deux hommes
à la tête. Elle souhaiterait que le coup les atteigne tous les
deux, mais il ne fallait pas trop en demander non plus. Elle colla
son œil droit au viseur, braqué sur l'un des sbires qui éclata de
rire suite à l'humiliation subie par une vieille guerrière.
Celle-ci venait de se faire raser la tête. Elle encaissait
courageusement les mutilations que lui faisait subir Abaris.
« Je te hais, Abaris.
Ta fin est proche ».
Elle approcha son doigt de la
gachette, et c'est ce moment que sa cible choisit pour bouger et
aller rejoindre celui qui fouillait les huttes. Sophicia voulut
hurler sa frustration, mais c'était impossible évidemment. Il
restait l'autre à éradiquer. Alors elle le visa. Et appuya. La
détonation craqua dans la forêt et se répercuta dans le ciel
nocturne. C'était assourdissant. Sophicia avait un peu mal aux
oreilles avec le vacarme que le fusil avait produit. Elle le savait
puissant et destructeur, mais elle n'imaginait pas à quel point. La
tête de l'homme avait littéralement explosé, comme une pastèque.
Le bruit de chairs, de tissus, de masse cérébrale heurtées par la
balle était insoutenable. Mais le pire était la tête après
l'impact de la balle. L'homme avait un trou qui lui avait bouffé la
moitié du visage ; la boîte crânienne gisait, vide, une entaille
béante en son cœur, la cervelle fumait et était disloquée, rouge
sang, secouée de temps à autres par des petits soubresauts.
Sophicia se forca à regarder
ailleurs pour ne pas vomir. L'attaque avait réveillé les autres qui
regardaient partout autour d'eux, cherchant d'où ça venait. Abaris
avait interrompu sa séance de torture pour prendre son fusil,
vérifier ses recharges, et avancer prudemment jusqu'au bord du camp,
braquant l'arme sur chaque tas de feuilles qu'il croisait. Les deux
autres s'étaient rapprochés l'un de l'autre. Ils se parlaient tous
les trois, mais Sophicia ne comprenait pas ce qu'ils disaient. Ils
criaient presque, et avaient l'air paniqués. Effet de surprise.
Comme elle l'avait pensé,
ils cherchaient d'abord dans les fourrés et bosquets et tiraient à
vue de tout ce qui aurait pu ressembler de près ou de loin à un
homme. Ou une femme, mais visiblement, ils n'avaient pas encore
compris qui était leur ennemi. Ils ne tardèrent pas à trouver les
dépouilles qu'elle avait cachées plus tôt. Ils regardèrent
partout autour d'eux, se sentant épiés, observés, traqués. Ne
sachant que faire contre un adversaire invisible, qui maîtrise son
environnement.
Sophicia sortit de sa sacoche
de la poudre noire à mettre dans la gueule du canon, tassa un peu la
poudre avec une petite branche qu'elle trouva, puis inséra une
balle. Abaris criait des recommandations à ses deux sbires, et
bientôt, il n'en resta qu'un. Sophicia lui défonça le crâne de la
même manière que le précédent. L'homme s'effondra sur le sol dans
un bruit sourd, nageant dans une mare de sang où flottait des bouts
de peau, des cheveux entremêlés, un œil sorti de son orbite. Plus
que deux.
L'amazone qui avait repéré
tout à l'heure la princesse, regarda de nouveau en l'air pour
repérer sa sœur. Abaris, qui s'était tourné vers elle au même
moment, capta son regard... Il leva lui aussi les yeux vers la cime
des arbres.
Au même moment, Sophicia, qui
ne s'était pas rendu compte que l'une des siennes venait de trahir
involontairement sa position, s'était débarassé du fusil en le
posant un peu plus loin sur la branche où elle se trouvait. Elle
voulait essayer ses aiguillons sur sa prochaine cible. Le dernier
homme de main qui se liquéfiait sur place, à deux doigts de
s'enfuir en courant.
Sophicia leva le bras et ferma
le poing de manière à bien viser. D'un seul mouvement de la main,
un aiguillon fut projeté à une vitesse affolante, et atterrit pile
dans le cœur de l'homme, qui se contracta de douleur. Son visage
affichait une horrible grimace, et il se mit à gonfler, enfler pour
finir boursouflé. L'homme porta la main à son cœur, tomba à
genoux, et commença à avoir du mal à respirer. Son visage devint
rose, puis rouge, vira au bleu, et au violet quand il se raidit pour
de bon.
Abaris le regarda, puis leva
de nouveau les yeux vers l'arbre où se trouvait sa compagne.
Celle-ci comprit qu'elle avait été repérée. Elle se figea
pourtant, pensant que son cher et tendre ne pourrait pas la voir au
travers du feuillage.
« Tu
peux descendre, chérie », l'appela-t-il, « il n'est
plus l'heure de jouer à cache-cache. »
Et mince. Elle sauta de
l'arbre, et atterrit sur ses pieds, à quelques mètres d'Abaris. Il
la fixa de la tête aux pieds, moitié fier d'elle, moitié furieux
qu'elle soit revenue et qu'elle ait décimé une partie de ses
hommes. Sophicia savait ce qu'il pensait, et elle espérait se servir
de son don pour déjouer ses manœuvres.
-
Horrible. Mais merci de t'en inquiéter. C'est un monde affreux, peuplé de gens égoïstes qui ne voient pas que leur fin est proche. Des dévots du Malin qui invoquent les mauvais esprits sans connaître les conséquences de leurs actes. Ils étaient monstrueux, vénéraient des divinités qu'on ne devrait même pas évoquer... et je retrouve la même chose ici, chez moi.
-
Allons donc, je suis surpris de te voir ici, je ne m'attendais pas à ce que tu rentres si tôt. D'ailleurs, j'espérais tout simplement que tu ne reviennes pas. J'aurais pu avoir la mainmise sur tes territoires qui me reviennent de droit. Après tout les sacrifices que j'ai faits, je méritais au moins ça, et tous les bijoux qui traînent dans vos huttes de sauvages.
-
Pourquoi ? fut tout ce qu'elle trouva à répondre, encore sous le choc de la véritable nature de Abaris.
-
Je te l'ai dit. Je veux régner sur ces territoires, je les étendrai jusqu'au monde des hommes, que je contrôlerai aussi, et je deviendrai le maître du monde. Je suis le nouvel empereur, je le sais, je le sens. Ces terres regorgent de richesses, et je pense sincèrement que c'est un terrible gâchis que ce soit des femmes, qui plus est des sauvages, même pas de vraies femmes qui soient à la tête de ces merveilles.
« Il était comment, ce
voyage ? fit mine de s'intéresser Abaris.
Sophicia se retint de
pleurer. Comment pouvait-il dire des choses pareilles... après tout
ce qu'ils avaient fait ensemble...
-
Il fallait aussi que tu saches que... je ne t'aime pas, je ne t'ai jamais aimé et ne t'aimerai jamais. Tu étais juste un outil, un pion, pour me rapprocher de tes sœurs et mieux vous approcher. J'ai déjà une promise en mon royaume, bien protégée par d'autres de mes soldats, comme ceux que tu as assassinés. Des tas d'autres soldats. S'il m'arrivait quelque chose, ils en seraient tout de suite informés, et viendraient faire de ta vie de recluse un cauchemar. »
Sophicia ne dit rien, elle se
contentait d'écouter. Elle ne pensait plus. Son esprit était
bloqué, ce qu'il disait entrait et sortait. Il y avait comme un mur
qui rejetait toutes les méchancetés qui sortaient de sa bouche.
Mais malgré cela, ça énervait considérablement Sophicia, qui
avait une très grosse envie de lui enfoncer en plein cœur un de ses
aiguillons et de le voir s'étouffer avec ! Elle entendit soudain une
pensée de Abaris. Il lui racontait tout ça pour la distraire, parce
qu'il avait l'intention de prendre en otage une des amazones, et de
la monnayer contre Sophicia elle-même. Il recula légèrement, tout
en continuant de débiter son baratin. Au moment où il avançait sa
main pour attraper une des guerrières par la gorge, elle tendit le
bras, ferma le poing et projeta un de ses dards dans la gorge
d'Abaris. Il se raidit, stupéfait, les yeux ronds, perdant le fil de
ce qui se déroulait sous ses yeux. L'amazone, profitant de cet
instant d'égarement, se dégagea de son étreinte.
Sophicia tendit une fois de
plus le bras, et envoya un dard en pleine tête, sur le front pour
être plus précise. Elle laissa s'exprimer sa rage et le bombarda
d'aiguillons. Il s'en prit dans le bras, dans les jambes, le ventre.
Il était enflé de partout. Lui qui était si beau, était
maintenant devenu difforme, à l'image des hommes qu'elle avait
rencontré plus tôt.
À genoux par terre, prostré,
il avait perdu de sa superbe. Il était misérable, pathétique. Dans
les derniers instants de sa vie, il essaya de prononcer quelques
mots, mais suffoquant, il toussait et crachait ses poumons. Elle eut
plus de cœur que lui, et décida d'abréger ses souffrances, pour
libérer le monde d'un tel fardeau. La dernière image qu'il eut
d'elle, ce fut son visage déterminé quand elle lui envoya deux pics
simultanément en plein cœur.
La terre était débarrassée
d'un monstre, mais il en restait beaucoup encore à décimer. Ses
sœurs lui demandant quel était cet arsenal qu'elles n'avaient
jamais vu, elle leur promit de leur raconter plus tard. Pour le
moment, elles devaient se préparer à affronter le mal.
Elles allaient partir à la
recherche du royaume d’Abaris, pour nettoyer la saleté qui
polluait leur si beau monde.
Elles marchèrent donc, toutes
ensemble, vers leur destin.
Félicitations à tous les participants et Merci à Florian et AGS pour cette opportunité.
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