Chapitre
I – Jour 562 1001
Les
vagues venaient mordre les rochers avec une violence inouïe au fur
et à mesure que les coups de Trident retentissaient. Les flots se
déchaînaient, causant la perte de tout ce qui se trouvait sur leur
passage. L’eau se transformait peu à peu en un monstre immonde ;
un puissant raz-de-marée, capable d’engloutir une planète, cité
après cité.
Jamais
je n’avais vu la mer dans un tel état. Elle qui m’avait toujours
semblé si paisible et majestueuse, se présentait aujourd’hui à
moi sous une forme nouvelle. Plus agressive. Hystérique. Proche de
la démence. Et, pour la première fois depuis ma naissance, un
frisson me parcourait alors que je l’observais ; j’étais
absolument terrifié.
La
cause de cette folie n’était autre que la main bleuâtre, couverte
d’écailles, qui tenait le Trident. Celle d’un homme – un être
divin – dont les yeux, d’un vert profond, laissaient s’échapper
quelques larmes. Lui qui parvenait d’habitude à cacher ses
émotions derrière une longue barbe blanche, lui conférant cet air
si sage, ne pouvait littéralement plus à se contenir.
En
le regardant manipuler les océans, au gré de sa colère, je ne
pouvais m’empêcher de penser à la chance qui était la mienne.
Effectivement, il était connu sous différents noms à travers de
multiples contrées. Même les habitants du domaine de Gaïa
finiraient par le baptiser tantôt Poséidon, puis Neptune, sans
jamais véritablement se décider. Mais moi, j’avais l’honneur de
l’appeler :
« Père. »
Le
calme était soudainement revenu. Alors que la marée s’affaissait,
Poséidon – pour le nommer ainsi – se tourna vers moi, le regard
vide. En l’interpellant, j’avais sans doute sauvé nos terres
d’une inondation totale, mais j’avais aussi ramené mon géniteur
à la réalité. Et, comme incapable de surmonter cette dernière, il
s’avança lentement vers moi, sans un mot, avant de s’écrouler.
« Atlas. »
Entendre
mon nom serait sans doute le seul remerciement que je recevrai pour
avoir empêché mon père de toucher le sol. Je le maintenais
désormais debout et l’aidais à marcher, tant bien que mal.
J’ignorais si son corps meurtri était devenu un poids lourd ou
s’il usait du peu d’énergie dont il disposait encore pour nous
ralentir. Après tout, il n’avait aucune envie d’aller là où
nous nous rendions.
« Lâche-moi.
- Père, vous
n’atteindrez pas la salle du trône en rampant.
Un
grommellement. Le Roi des Océans contemplait son domaine au fur et à
mesure que notre route se poursuivait. Les étendues bleutées, les
Chutes de Naïade et la Rivière de Despina m’avaient moi-même
toujours fasciné. Régner sur un pareil endroit, au sein duquel la
seule préoccupation des sujets était de savoir si l’eau allait se
montrer clémente, serait un horrible privilège.
-Il aurait dû
se rendre à ce maudit conseil à ma place…
-S’il avait
pu être présent, nous n’aurions pas eu à… »
Une
trombe d’eau jaillit du sol, comme pour m’intimer de me taire.
J’appliquais donc la loi du silence pendant le reste de notre
voyage. Ce n’était pourtant pas les mots qui me manquaient.
J’aurais aimé dire à mon père que cela m’affectait également,
que j’étais prêt à le soutenir corps et âme. Mais rien ne
pourrait consoler le chagrin de Poséidon.
A notre arrivée devant le Palais de Saphir, mu d’une dignité
toute nouvelle, mon père se décida à marcher seul. Il ne pouvait
pas être vu affaibli ; et encore moins soutenu par un être qui
n’avait en lui aucune once de noblesse, comme il avait tendance à
me le rappeler. C’est donc loin derrière lui que j’entrais dans
la salle d’un trône dont je ne pourrais jamais hériter.
1 :
les données numériques correspondent à la datation neptunienne.
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