mercredi 19 décembre 2018

Prose : Mémoires d'Atlas, chapitre 1





Chapitre I Jour 562 1001
Les vagues venaient mordre les rochers avec une violence inouïe au fur et à mesure que les coups de Trident retentissaient. Les flots se déchaînaient, causant la perte de tout ce qui se trouvait sur leur passage. L’eau se transformait peu à peu en un monstre immonde ; un puissant raz-de-marée, capable d’engloutir une planète, cité après cité.

Jamais je n’avais vu la mer dans un tel état. Elle qui m’avait toujours semblé si paisible et majestueuse, se présentait aujourd’hui à moi sous une forme nouvelle. Plus agressive. Hystérique. Proche de la démence. Et, pour la première fois depuis ma naissance, un frisson me parcourait alors que je l’observais ; j’étais absolument terrifié.

La cause de cette folie n’était autre que la main bleuâtre, couverte d’écailles, qui tenait le Trident. Celle d’un homme – un être divin – dont les yeux, d’un vert profond, laissaient s’échapper quelques larmes. Lui qui parvenait d’habitude à cacher ses émotions derrière une longue barbe blanche, lui conférant cet air si sage, ne pouvait littéralement plus à se contenir.

En le regardant manipuler les océans, au gré de sa colère, je ne pouvais m’empêcher de penser à la chance qui était la mienne. Effectivement, il était connu sous différents noms à travers de multiples contrées. Même les habitants du domaine de Gaïa finiraient par le baptiser tantôt Poséidon, puis Neptune, sans jamais véritablement se décider. Mais moi, j’avais l’honneur de l’appeler :

« Père. »

Le calme était soudainement revenu. Alors que la marée s’affaissait, Poséidon – pour le nommer ainsi – se tourna vers moi, le regard vide. En l’interpellant, j’avais sans doute sauvé nos terres d’une inondation totale, mais j’avais aussi ramené mon géniteur à la réalité. Et, comme incapable de surmonter cette dernière, il s’avança lentement vers moi, sans un mot, avant de s’écrouler.

« Atlas. »

Entendre mon nom serait sans doute le seul remerciement que je recevrai pour avoir empêché mon père de toucher le sol. Je le maintenais désormais debout et l’aidais à marcher, tant bien que mal. J’ignorais si son corps meurtri était devenu un poids lourd ou s’il usait du peu d’énergie dont il disposait encore pour nous ralentir. Après tout, il n’avait aucune envie d’aller là où nous nous rendions.

« Lâche-moi.

- Père, vous n’atteindrez pas la salle du trône en rampant.

Un grommellement. Le Roi des Océans contemplait son domaine au fur et à mesure que notre route se poursuivait. Les étendues bleutées, les Chutes de Naïade et la Rivière de Despina m’avaient moi-même toujours fasciné. Régner sur un pareil endroit, au sein duquel la seule préoccupation des sujets était de savoir si l’eau allait se montrer clémente, serait un horrible privilège.

-Il aurait dû se rendre à ce maudit conseil à ma place…
-S’il avait pu être présent, nous n’aurions pas eu à… »

Une trombe d’eau jaillit du sol, comme pour m’intimer de me taire. J’appliquais donc la loi du silence pendant le reste de notre voyage. Ce n’était pourtant pas les mots qui me manquaient. J’aurais aimé dire à mon père que cela m’affectait également, que j’étais prêt à le soutenir corps et âme. Mais rien ne pourrait consoler le chagrin de Poséidon.

A notre arrivée devant le Palais de Saphir, mu d’une dignité toute nouvelle, mon père se décida à marcher seul. Il ne pouvait pas être vu affaibli ; et encore moins soutenu par un être qui n’avait en lui aucune once de noblesse, comme il avait tendance à me le rappeler. C’est donc loin derrière lui que j’entrais dans la salle d’un trône dont je ne pourrais jamais hériter.

1  : les données numériques correspondent à la datation neptunienne.


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