Chapitre
II – Deimos
« Tu
penses que la ponctualité peut causer une guerre ?
- La sagesse de
notre Roi nous en préservera, Arkantos.
- Ce n’est
pas tant la sagesse de ton père que sa patience, qui m’inquiète. »
Arkantos
me sourit, comme à son habitude. Plus qu’un véritable héros dont
le nom résonnait au-delà même des frontières du Royaume, il
était, pour moi, un véritable mentor. Alors, servir à ses côtés
au sein du Palais de Saphir, était un honneur ; le plus grand
auquel j’avais le droit d’aspirer. Même si notre travail
consistait, la plupart du temps à attendre.
C’est
d’ailleurs exactement ce qu’était en train de faire Poséidon : juché sur son trône, la mâchoire posée sur le
poing, il désespérait de voir arriver son interlocuteur. Celui dont
il comptait obtenir des explications, à propos du crime le plus
barbare que l’on puisse commettre. Mais celui-ci était en retard
de plus d’une heure et un tiers. Et mon père s’impatientait.
Alors,
quand enfin une lumière pourpre vint faire rougir l’enceinte
bleu-azur, les yeux de mon père s’illuminèrent, jusqu’à ce
qu’une forme – un corps divin – ne s’en dégage. La Crainte
m’envahit à la vue de l’armure flamboyante qui avançait
désormais sur le pont de glace, en direction du trône. Arkantos,
lui, tremblait de Terreur devant sa peau orangée.
« Salut,
mon grand-oncle préféré. avait lâché sarcastiquement la nouvelle
arrivante.
- Deimos,
comment oses-tu… ?!? s’offusqua mon géniteur.
- Désolée.
Mon père devait régler des affaires plus urgentes.
- La moindre
des choses aurait été d’envoyer ton frère.
- Vos lois
archaïques m’interdisent de négocier avec vous ?
- Les
traditions empêchent le chaos de nous submerger.
- Elles n’ont
pourtant pas protégé Halirrhotios. »
C’était
la provocation de trop. Poséidon s’était levé. Des trombes d’eau
avaient jailli et des stalactites encerclaient Deimos Moi, je
n’attendais qu’un ordre de mon Roi.
Le
ricanement de Deimos résonna dans tout le Palais. Elle saisit une
des armes de glace pour l’approcher lentement de son cœur, en
lançant à mon père un regard de défi.
« Qu’attends-tu,
Roi des Océans ? Tue-moi et attire-toi les foudres de la
Triade !
- La Triade a
choisi de ne pas intervenir, jeune insolente.
- Elle reste
neutre car elle sait que mon père n’a fait que me protéger des
intentions répugnantes de ton héritier. Je suis ici pour maintenir
la paix. »
Dans
un long soupir, Poséidon relâcha la pression : ses armes
s’étaient baissées et il tentait de se calmer. En une fraction de
seconde, il avait alors retrouvé toute sa majesté.
- Deimos, tu
parles ici au nom de ton père, le Seigneur de la Guerre. En échange
de la vie d’Halirrothios, je réclame deux tiers de son domaine.
- C’est une
bien mince compensation, mais tu l’obtiendras. »
Le
sourire de Deimos ne s’était pas effacé. Elle tourna les talons,
sans attendre une réponse de Poséidon. Ce dernier me fit signe de
la raccompagner jusqu’à la sortie du Palais. M’exécutant, je
restais prêt à intervenir, mais rien ne pouvait empêcher mon corps
de trembler. Sa conscience parfaite de la politique du cosmos, aussi
bien que son sens de la stratégie, démontraient qu’elle était la
fille de celui que les Hommes de Gaïa appelleraient tantôt Arès ou
Mars.
« Voilà
à quoi tu en es réduit, Prince Sans Héritage ? »
Elle
avait posé sa question sans la moindre once de dédain. J’aurai
même pu croire à un semblant d’affection. Cela n’aurait rien eu
d’étonnant : après tout, elle était aussi l’enfant de la
Maîtresse de l’Amour. Il n’empêche que je préférai me méfier,
ayant bien remarqué qu’elle avait davantage hérité des
caractéristiques de son père que de ceux de sa mère. Le silence
me préserverait de ses manipulations.
« Ton
père t’autorise-t-il au moins à parler ? insista-t-elle
- Je… Il n’y
a aucune honte à…
- Au sein des
Légions du Seigneur de la Guerre, tu serais un véritable héros.
Réfléchis-y.
Deimos
me fixa pendant de longues secondes, avant de tendre sa main. Sa
proposition était alléchante. Intégrer l’armée de Mars me
permettrait de voyager à travers le cosmos. Mais surtout, je serais
libre de quitter un Royaume qui n’avait jamais voulu de moi, où
même mon plus proche parent me considérait comme un être
inférieur. Aussi, je n’avais aucune raison d’hésiter avant de
répondre :
- Je préfère
vivre au service de mon père que mourir pour la gloire du tien
- Très bien.
Tu pourras donc transmettre à ton précieux Roi des Océans…
La
fille de Mars s’éloigna d’un bond, avant de claquer des
doigts. Une lumière pourpre m’aveugla aussitôt. J’eus
alors beaucoup de peine à distinguer les formes orangées qui s’en
étaient extirpées. Mais leurs armures et leurs muscles n’auraient
trompé personne : pas besoin d’être une Moire pour deviner
qu’il s’agissait de soldats.
- …les deux
tiers du Domaine du Seigneur de la Guerre ! »
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