Chapitre
IV – Les Bannis des Océans
Des
corps en putréfaction jonchaient le sol, pour dissuader quiconque de
venir s’en prendre à ceux qui avaient commis de telles atrocités.
Le sang des malheureux gardes recouvrait aussi bien les murs que le
plafond. Quelques gouttes s’étaient mélangées aux étendues
d’eau, leur donnant une couleur rougeâtre. Le Palais de Saphir
était devenu un Château de Rubis.
Les
soldats de Mars, répartis en rangs de chaque côté de la pièce,
m’avaient laissé entrer. Sans doute voulaient-ils que j’admire
le spectacle morbide qui se déroulait dans la salle du trône. Que
je voie mon père suspendu en hauteur, attaché et bâillonné. Que
je contemple, impuissant, Arkantos vaincu, à genoux, aux pieds de
celle qui siégeait désormais à la place de Poséidon :
Deimos.
« Tu
aimes la nouvelle déco, Prince Sans Héritage ?
Je
ne fus pas déstabilisé par la provocation de Deimos. Mais le regard
qu’Arkantos me lança, plein d’incompréhension et le coup de
pied qu’il reçut, pour avoir tenté de me parler, manquèrent de
me faire perdre mon sang-froid. La fille du Seigneur de la Guerre
cherchait à régner en inspirant la Crainte. Je ne pouvais pas la
laisser gagner. Je me devais de ne transparaître aucune émotion.
- Deimos, comme
tu es venue négocier avec le Roi des Océans, je me présente à
toi afin de discuter des termes de ta reddition.
Mon
interlocutrice éclata de rire. Elle avait sûrement perçu que
l’assurance dont je m’efforçais de faire preuve me mettait
effroyablement mal à l’aise. Mais surtout, elle était persuadée
d’avoir l’avantage. Les yeux écarquillés de mon père étaient
rivés sur moi. J’ignorais s’il me prenait pour un fou ou s’il
éprouvait une certaine fierté à mon égard. A dire vrai, je
n’avais jamais su faire la différence.
- Pardon, mais
j’ai cru mal entendre : tu veux que je me rende ?
Espères-tu échanger ta vie contre celle de ton Royaume ? Tu
crois vraiment avoir autant de valeur ?
- Ecoute-moi.
Je vais tâcher d’être le plus clair possible : pars avec
tes soldats, maintenant. Libère le Roi. Et nous nous contenterons
de venir chercher les deux tiers du Domaine de ton père, comme
convenu.
- Je comprends
mieux pourquoi ton père a si peu de considération pour toi :
tu n’es qu’un imbécile, Atlas ! Tu ne vois vraiment pas
que tu as perdu ? Les accords ne tiennent plus ! J’ai
annexé le Royaume des Océans !
Deimos
ne riait plus. Elle était pleine de colère. Et, sans que je ne m’en
rende compte, un sourire s’était dessiné sur mon visage. La glace
qui décorait la salle du trône se brisa, pour laisser apparaître
une armée ; la mienne. Des femmes et des hommes, venus des
montagnes, tenaient désormais en joue, avec des armes rudimentaires,
les soldats de Mars, attendant un ordre de leur chef, Clito.
- Le Royaume
des Océans est bien plus vaste que tu ne l’imagines.
Moi-même
je ne savais pas grand-chose du peuple des montagnes. Les récits du
Royaume décrivaient une bande de sauvages, incapables de comprendre
nos codes ou nos cultures. En réalité, ils n’avaient juste pas eu
la chance de naître au bon endroit. Et Poséidon s’était épris
de l’une de ces barbares. Toute sa vie, il avait expliqué avoir
commis une erreur. Pourtant, elle se battait pour sauver sa vie.
- Si tu penses
que de simples mortels vont m’effrayer, tu es plus stupide que je
ne le pensais !
Des
tremblements. Des gravats tombant du plafond. Un poing tourbillonnant
vint s’écraser au centre de la salle du trône, faisant trembler
les soldats de Mars. La créature difforme finit par pénétrer le
Palais de Saphir. Elle était composée intégralement d’eau, de
glace et de vapeur. Les corps prisonniers Par-Delà le Temps
finissaient par se changer en êtres élémentaires ; tel était
le sort des Titans.
Du sang qui gicle. Un crocodile venait de faire son entrée et de
dévorer trois de nos ennemis. Ce n’était pas n’importe quel
animal. C’était l’une des divinités pharaoniques venues du
Soleil, avec qui le Souverain du Tonnerre avait longtemps été en
guerre. Mon père en avait fait sa prisonnière. Et j’étais
parvenu à la séduire en lui promettant qu’elle pourrait tuer
quelques-uns de mes semblables.
Le
crocodile et le Titan avaient balayé les rangs adverses. Le peuple
des montagnes n’avait plus qu’à désarmer les soldats de Mars.
Nous reprenions l’avantage. Et bientôt, à travers tout le cosmos,
résonneraient les chansons dédiées au Prince Sans Héritage et à
son armée de Bannis, qui avaient sauvé le Royaume des Océans. Mais
je ne cherchais pas la gloire. Je me battais pour sauver mon père.
Victorieux,
sans faire preuve d’excès de confiant, je m’avançais vers
Deimos. Je savais qu’elle aurait pu me désintégrer d’un simple
mouvement. Mais elle avait conscience que j’avais rassemblé autour
de moi un véritable baroud d’honneur. Et que s’il m’arrivait
quelque chose, chacun de ses membres se feraient un plaisir de
l’attaquer. Je m’adressais donc à elle, après avoir aidé
Arkantos à se relever.
- Tu refuses
toujours de te rendre ? »
Deimos
ne me lança pas de pic. Elle se contenta de sourire. Je ne compris
pourquoi que lorsqu’un bruit sourd résonna dans toute la salle du
trône. La bataille se stoppa. Les regards se tournèrent vers une
épaisse fumée brune qui semblait s’être générée seule.
Lentement, une silhouette s’en dégagea. Et elle n’incarnait rien
d’autre que la Peur.
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