Chapitre V – La Peur de la Bataille
Ce
jour fut le plus sombre de notre Histoire. Les légendes allaient
évoquer une bataille épique, au cours de laquelle d’innombrables
Héros auraient couru à leur perte et se seraient relevés malgré
tout, pour mieux faire face au cataclysme. Unis. Debout. Résignés.
Mais voilà la seule vérité, transcendant tous les mythes :
cette journée était la dernière du Royaume des Océans.
Le
temps semblait ne plus s’écouler depuis qu’une armure, d’un
rouge étincelant, avait surgi de nulle part. Les yeux de son porteur
étaient de la même couleur, en plus d’être extrêmement
inquiétants. Sa seule présence suffisait à faire trembler toute la
salle du trône. Peu d’habitants du cosmos avaient survécu pour en
parler, mais tous connaissaient ce visage pâle et cette chevelure
blanchâtre.
« Phobos.
- Ma chère
sœur, il semblerait que j’arrive à point nommé. »
Le
rictus de Deimos indiqua son amusement. Il devait y avoir une sorte
de rivalité fraternelle entre celle-ci et son frère. Le Seigneur de
la Guerre avait sûrement entretenu cette flamme en les élevant dans
la compétition constante, murmurant à chacun qu’il pouvait être
meilleur que l’autre. Et leur lien fraternel leur avait sans doute
été transmis par la Maîtresse de l’Amour.
A
peine avais-je pensé qu’affronter ces jumeaux ensemble serait un
véritable cauchemar, que Phobos s’était mis en marche : son
pas lourd, faisant s’évaporer la moindre goutte d’eau qu’il
frôlait, était assurément la part la plus effrayante de lui. Mais
je ne pouvais détacher mon regard de son visage serein, conquérant.
Il était le seul soldat debout dans un territoire ennemi, pourtant
il se savait victorieux.
Mes
frères d’armes le tenaient en joue, prêts à attaquer, attendant
qu’il porte le premier coup. Phobos stoppa sa marche devant le
Titan que j’avais libéré. Alors qu’il contemplait la créature,
celle-ci ne daigna pas bouger. En approchant sa main droite du
monstre, le fils du Seigneur de la Guerre expira d’une voix
étonnamment et compatissante :
«
Titan. Ces imposteurs t’ont si longtemps retenu prisonnier. Et
maintenant, ils t’obligent à te battre pour leur cause ? Tu
mérites le repos. »
A
peine Phobos avait-il touché le Titan que déjà, ce dernier
commençait à fondre. Le fils de Mars ne prenait aucun plaisir à
mener cette exécution et semblait même éprouvait une forme de
compassion. S’il voyait la mort comme une délivrance – une
récompense – je n’osais pas imaginer ce qu’il ferait à des
soldats issus d’un Royaume ennemi.
Un
cri me sortit de mes pensées. Celui d’un véritable Héros. Deimos
avait profité de ma perte de concentration pour, dans un geste
désespéré, réduire en cendres Arkantos. Des sanglots coulaient le
long de mes joues. Je n’étais pas triste, mais fou de rage. Il
était désormais trop tard pour que la fille du Seigneur de la
Guerre quitte le Royaume des Océans ; j’allais en faire sa
tombe.
Aussi,
mes larmes devinrent soudainement des morceaux de glace tranchants.
Je les avais projetés sur Deimos. Incapable de comprendre ce qui
m’arrivait sur le moment, je finis, bien plus tard, par me faire la
réflexion que la colère m’avait doté des mêmes capacités que
mon père. Malheureusement, mes armes avaient fondu avant d’atteindre
leur cible : Phobos protégeait sa sœur.
« J’ai
beaucoup entendu parler de toi, Prince Sans Héritage. J’aurais
aimé te voir intégrer les Légions de mon père. Ta souffrance
aurait été si belle : participer au massacre de ton peuple
allait faire de toi un monstre atroce, assoiffé de sang… »
Phobos
s’était rapproché de moi. Le sol qui m’entourait avait disparu.
J’étais désormais cerné par une épaisse fumée brune, figé
devant la lueur de ses yeux rouges, incapable de surmonter ma Peur.
Je n’en voulais pas à mes frères d’armes, qui, comme moi,
étaient tétanisés. Je regrettais simplement de laisser le Royaume
des Océans tomber sous la coupe de Mars.
« …mais
tu as eu la noblesse de te battre pour ton Royaume, alors que tu
avais déjà perdu. Ta mort sera honorable. »
Le
toucher mortel de Phobos n’eut pas le temps de m’atteindre :
la fumée avait disparu pour laisser place à des trombes d’eau
plus puissantes que jamais. Au loin, je vis mon père, toujours
prisonnier, mais quelque chose avait changé dans le bleu de ses
yeux. La couleur était devenue plus intense. Son hurlement annonçait
le Déluge qui allait suivre :
« ATLAS ! »
Je
me tenais là, les poings serrés, repensant au combat, alors que le
Seigneur de la Guerre était juste à côté de moi. Je retenais
péniblement l’envie de détacher sa misérable tête,
présomptueuse et casquée, du reste de son corps. Le regard pesant
du Roi des Océans me poussait à garder mon calme. Après tout, nous
faisions face à la Triade.
Le
Souverain du Tonnerre, – mon oncle – sa Femme et la Saqe Seour du
Seigneur de la Guerre résumaient une histoire dont je connaissais
les moindres détails : mon père, dans un excès de colère,
avait déclenché un raz-de-marais. Ce faisant, il avait englouti le
Royaume, cité après cité, causant la mort d’une partie de ses
sujets, mais aussi de quelques soldats de Mars. Et plus
particulièrement Phobos.
Ils
ignoraient qu’il avait agi pour me sauver. Était-ce par amour ou
parce qu’il refusait de perdre un second fils dans le conflit qui
l’opposait au Seigneur de la Guerre ? Je ne voulais pas
connaître la réponse à cette question. Tout comme je ne pouvais
pas supporter les réclamations d’un peuple de guerriers fourbe,
sans qui rien de tout cela ne serait arrivé.
Heureusement, Poséidon avait réussi à se défendre, arguant qu’en
fomentant une invasion de son Royaume, Mars avait violé toutes les
règles du cosmos et que sa réussite aurait sûrement marqué le
début d’une longue période d’expansion. C’était la raison
pour laquelle ses soldats resteraient prisonniers sur Mars jusqu’à
nouvel ordre. Deimos perdit d’ailleurs son poste au sein des
Légions.
Mais
Poséidon avait commis un génocide en noyant tous ses sujets ;
on dénombrait quelques survivants, mais la plupart d’entre eux
avait subi des transformations physiques abominables. Poséidon fut
alors condamné à l’exil sur les Terres de Gaïa. Aussitôt
m’avançai-je, armé d’une bulle d’eau que je venais de
générer. Tous les regards se braquèrent dans ma direction.
« Moi,
Atlas, déclare être coupable de la chute du Royaume des Océans.
J’ai commis de nombreuses erreurs, d’abord en libérant les pires
créatures que nos peuples aient un jour affrontées, puis en pensant
pouvoir maîtriser mes dons. »
Pour
appuyer mes propos je laissai éclater la bulle. J’ignorais si mon
père allait me pardonner d’avoir menti à son frère, mais je ne
pouvais pas laisser la Triade l’exiler. Le Royaume des Océans
avait besoin d’être reconstruit. Et seul un véritable chef
saurait comment fédérer un peuple. Poséidon en avait la capacité.
Et ma place ne se trouvait plus à ses côtés.
« J’ai
agi en légitime défense, mais je mérite mon châtiment. »
Ma
conclusion semblait avoir convaincu la Triade. Je fus banni sur les
Terres de Gaïa et la solitude n’allait pas être ma seule
compagne : le peuple des montagnes, qui avait perdu sa meneuse,
Clito, choisit de me suivre. Les Hybrides, nés du cataclysme
provoqué par Poséidon seraient bientôt chassés par les survivants
qui n’avaient pas évolué ; ils ne tarderaient donc pas à me
rejoindre.
J’ignorais
ce que l’avenir nous réservait. Mais je comptais faire prospérer
ma nation. L’Atlantide. Le Premier Empire des Terres de Gaïa qui
allait montrer la voie à tant d’autres. Cette journée marquait la
fin du Royaume des Océans. Et ma Renaissance.
Hinetertainment
2018 jeffrey@hinetertainment.com
J'ai lu hebdomadairement puis j'ai tout relu d'un bloc.
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup.
J'aime le fait que tu ais réussi à créer une mythologie vraiment solide, tant dans ton univers que par rapport aux mythes. J'aime le fait que tout soit cohérent et clair. J'aime le fait que, même une semaine après le précédent billet, je n'ai pas été perdu dans la lecture. J'aime le background que cela créé. J'aime ce pan d'Histoire.
J'ai aimé ton style, très direct, presque sec, sans emballage ; mais donc très efficace, pour un récit fragmenté. J'ai aimé tes idées, qui ne sont pas les plus révolutionnaires mais fonctionnent très bien ici. J'ai aimé les rebondissements, classiques mais efficaces.
J'ai beaucoup aimé, oui. Bravo !