mercredi 16 janvier 2019

Prose : Mémoires d'Atlas, chapitre 5



Chapitre VLa Peur de la Bataille

Ce jour fut le plus sombre de notre Histoire. Les légendes allaient évoquer une bataille épique, au cours de laquelle d’innombrables Héros auraient couru à leur perte et se seraient relevés malgré tout, pour mieux faire face au cataclysme. Unis. Debout. Résignés. Mais voilà la seule vérité, transcendant tous les mythes : cette journée était la dernière du Royaume des Océans.

Le temps semblait ne plus s’écouler depuis qu’une armure, d’un rouge étincelant, avait surgi de nulle part. Les yeux de son porteur étaient de la même couleur, en plus d’être extrêmement inquiétants. Sa seule présence suffisait à faire trembler toute la salle du trône. Peu d’habitants du cosmos avaient survécu pour en parler, mais tous connaissaient ce visage pâle et cette chevelure blanchâtre.

« Phobos.

- Ma chère sœur, il semblerait que j’arrive à point nommé. »

Le rictus de Deimos indiqua son amusement. Il devait y avoir une sorte de rivalité fraternelle entre celle-ci et son frère. Le Seigneur de la Guerre avait sûrement entretenu cette flamme en les élevant dans la compétition constante, murmurant à chacun qu’il pouvait être meilleur que l’autre. Et leur lien fraternel leur avait sans doute été transmis par la Maîtresse de l’Amour.

A peine avais-je pensé qu’affronter ces jumeaux ensemble serait un véritable cauchemar, que Phobos s’était mis en marche : son pas lourd, faisant s’évaporer la moindre goutte d’eau qu’il frôlait, était assurément la part la plus effrayante de lui. Mais je ne pouvais détacher mon regard de son visage serein, conquérant. Il était le seul soldat debout dans un territoire ennemi, pourtant il se savait victorieux.

Mes frères d’armes le tenaient en joue, prêts à attaquer, attendant qu’il porte le premier coup. Phobos stoppa sa marche devant le Titan que j’avais libéré. Alors qu’il contemplait la créature, celle-ci ne daigna pas bouger. En approchant sa main droite du monstre, le fils du Seigneur de la Guerre expira d’une voix étonnamment et compatissante :

« Titan. Ces imposteurs t’ont si longtemps retenu prisonnier. Et maintenant, ils t’obligent à te battre pour leur cause ? Tu mérites le repos. »

A peine Phobos avait-il touché le Titan que déjà, ce dernier commençait à fondre. Le fils de Mars ne prenait aucun plaisir à mener cette exécution et semblait même éprouvait une forme de compassion. S’il voyait la mort comme une délivrance – une récompense – je n’osais pas imaginer ce qu’il ferait à des soldats issus d’un Royaume ennemi.

Un cri me sortit de mes pensées. Celui d’un véritable Héros. Deimos avait profité de ma perte de concentration pour, dans un geste désespéré, réduire en cendres Arkantos. Des sanglots coulaient le long de mes joues. Je n’étais pas triste, mais fou de rage. Il était désormais trop tard pour que la fille du Seigneur de la Guerre quitte le Royaume des Océans ; j’allais en faire sa tombe.

Aussi, mes larmes devinrent soudainement des morceaux de glace tranchants. Je les avais projetés sur Deimos. Incapable de comprendre ce qui m’arrivait sur le moment, je finis, bien plus tard, par me faire la réflexion que la colère m’avait doté des mêmes capacités que mon père. Malheureusement, mes armes avaient fondu avant d’atteindre leur cible : Phobos protégeait sa sœur.

« J’ai beaucoup entendu parler de toi, Prince Sans Héritage. J’aurais aimé te voir intégrer les Légions de mon père. Ta souffrance aurait été si belle : participer au massacre de ton peuple allait faire de toi un monstre atroce, assoiffé de sang… »

Phobos s’était rapproché de moi. Le sol qui m’entourait avait disparu. J’étais désormais cerné par une épaisse fumée brune, figé devant la lueur de ses yeux rouges, incapable de surmonter ma Peur. Je n’en voulais pas à mes frères d’armes, qui, comme moi, étaient tétanisés. Je regrettais simplement de laisser le Royaume des Océans tomber sous la coupe de Mars.

« …mais tu as eu la noblesse de te battre pour ton Royaume, alors que tu avais déjà perdu. Ta mort sera honorable. »

Le toucher mortel de Phobos n’eut pas le temps de m’atteindre : la fumée avait disparu pour laisser place à des trombes d’eau plus puissantes que jamais. Au loin, je vis mon père, toujours prisonnier, mais quelque chose avait changé dans le bleu de ses yeux. La couleur était devenue plus intense. Son hurlement annonçait le Déluge qui allait suivre :

« ATLAS ! »


Je me tenais là, les poings serrés, repensant au combat, alors que le Seigneur de la Guerre était juste à côté de moi. Je retenais péniblement l’envie de détacher sa misérable tête, présomptueuse et casquée, du reste de son corps. Le regard pesant du Roi des Océans me poussait à garder mon calme. Après tout, nous faisions face à la Triade.

Le Souverain du Tonnerre, – mon oncle – sa Femme et la Saqe Seour du Seigneur de la Guerre résumaient une histoire dont je connaissais les moindres détails : mon père, dans un excès de colère, avait déclenché un raz-de-marais. Ce faisant, il avait englouti le Royaume, cité après cité, causant la mort d’une partie de ses sujets, mais aussi de quelques soldats de Mars. Et plus particulièrement Phobos.

Ils ignoraient qu’il avait agi pour me sauver. Était-ce par amour ou parce qu’il refusait de perdre un second fils dans le conflit qui l’opposait au Seigneur de la Guerre ? Je ne voulais pas connaître la réponse à cette question. Tout comme je ne pouvais pas supporter les réclamations d’un peuple de guerriers fourbe, sans qui rien de tout cela ne serait arrivé.



Heureusement, Poséidon avait réussi à se défendre, arguant qu’en fomentant une invasion de son Royaume, Mars avait violé toutes les règles du cosmos et que sa réussite aurait sûrement marqué le début d’une longue période d’expansion. C’était la raison pour laquelle ses soldats resteraient prisonniers sur Mars jusqu’à nouvel ordre. Deimos perdit d’ailleurs son poste au sein des Légions.

Mais Poséidon avait commis un génocide en noyant tous ses sujets ; on dénombrait quelques survivants, mais la plupart d’entre eux avait subi des transformations physiques abominables. Poséidon fut alors condamné à l’exil sur les Terres de Gaïa. Aussitôt m’avançai-je, armé d’une bulle d’eau que je venais de générer. Tous les regards se braquèrent dans ma direction.

« Moi, Atlas, déclare être coupable de la chute du Royaume des Océans. J’ai commis de nombreuses erreurs, d’abord en libérant les pires créatures que nos peuples aient un jour affrontées, puis en pensant pouvoir maîtriser mes dons. »

Pour appuyer mes propos je laissai éclater la bulle. J’ignorais si mon père allait me pardonner d’avoir menti à son frère, mais je ne pouvais pas laisser la Triade l’exiler. Le Royaume des Océans avait besoin d’être reconstruit. Et seul un véritable chef saurait comment fédérer un peuple. Poséidon en avait la capacité. Et ma place ne se trouvait plus à ses côtés.

« J’ai agi en légitime défense, mais je mérite mon châtiment. »

Ma conclusion semblait avoir convaincu la Triade. Je fus banni sur les Terres de Gaïa et la solitude n’allait pas être ma seule compagne : le peuple des montagnes, qui avait perdu sa meneuse, Clito, choisit de me suivre. Les Hybrides, nés du cataclysme provoqué par Poséidon seraient bientôt chassés par les survivants qui n’avaient pas évolué ; ils ne tarderaient donc pas à me rejoindre.

J’ignorais ce que l’avenir nous réservait. Mais je comptais faire prospérer ma nation. L’Atlantide. Le Premier Empire des Terres de Gaïa qui allait montrer la voie à tant d’autres. Cette journée marquait la fin du Royaume des Océans. Et ma Renaissance.

Hinetertainment 2018                                                                                 jeffrey@hinetertainment.com

1 commentaire:

  1. J'ai lu hebdomadairement puis j'ai tout relu d'un bloc.
    J'aime beaucoup.
    J'aime le fait que tu ais réussi à créer une mythologie vraiment solide, tant dans ton univers que par rapport aux mythes. J'aime le fait que tout soit cohérent et clair. J'aime le fait que, même une semaine après le précédent billet, je n'ai pas été perdu dans la lecture. J'aime le background que cela créé. J'aime ce pan d'Histoire.
    J'ai aimé ton style, très direct, presque sec, sans emballage ; mais donc très efficace, pour un récit fragmenté. J'ai aimé tes idées, qui ne sont pas les plus révolutionnaires mais fonctionnent très bien ici. J'ai aimé les rebondissements, classiques mais efficaces.

    J'ai beaucoup aimé, oui. Bravo !

    RépondreSupprimer